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Critique de Presence


Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre, complète en 54 épisodes, regroupés en 14 tomes, achevée en 2019. le présent tome regroupe les épisodes 1 à 4, initialement parus en 2015, écrits par John Allison, dessinés et encrés par Lissa Treiman, et mis en couleurs par Whitney Cogar. Il comprend les couvertures originales de Treiman, ainsi que les couvertures variantes de Meredith Gran, Shelli Paroline, Adam Yass, John Allison.

Pour leur première année de fac, trois jeunes filles se retrouvent dans les chambres contiguës. Il s'agit de Daisy Wooton (chevelure très volumineuse, et un peu naïve), Esther de Groot (peau assez blanche et un peu gothique), Susan Ptolemy (dotée de plus de sens commun que les deux autres). Elles sont toutes les trois à discuter dans la chambre de Susan qui leur rappelle ce qu'elles ont déjà vécu ensemble durant les trois premières semaines : aider Esther contre quatre filles prétentieuses, aider Esther à éviter que son premier copain ne ruine sa réputation, aider Esther qui était devenue membre d'un club de Black Metal et qui avait bénéficié d'un tatouage au goût douteux. Daisy en conclut qu'Esther est le ciment qui les unit. Susan rétorque qu'Esther est plutôt une sorte de diva qui a décidé de vivre sa vie comme une tragédienne dans un spectacle. Bien sûr l'intéressée s'en offusque, mais elle froisse inconsciemment la feuille de papier que lui a confiée Susan, y faisant apparaître le mot Tragédie (Doom). Les trois copines sortent à l'extérieur pour se rendre sur le campus et continuent à papoter. Esther parie qu'elle peut tenir une semaine sans provoquer aucune tragédie. Susan relève le pari en réduisant même la durée à 3 jours. Si Susan gagne, Esther lui doit un massage. Si Esther gagne, elle peut se charger de la tenue vestimentaire et du maquillage de Susan pour une sortie de soirée.

Les trois copines continuent de marcher, et Daisy aperçoit un garçon qu'elle connaît : Ed Gemmel. Elle l'interpelle, il lui fait un signe de la main en se détournant du pote avec qui il parlait, permettant d'entrevoir celui qui se tient derrière. Susan se fige sur place en dévisageant Graham McGraw d'un regard mauvais : visiblement ils se connaissent. Il s'en suit quelques phrases à la tonalité acide, dans une ambiance glaciale et chacun repart de son côté. Graham indique à Ed que comme ils sont des êtres masculins, ils ne reparleront jamais plus de ce moment. Esther et Daisy papotent en marchant, Susan se tenant silencieuse en broyant du noir à quelques pas derrière elles. Susan indique qu'elle rentre dans sa chambre. Esther invite Daisy à venir à son cours de boxe avec elle, mais sa copine décline l'invitation car elle est pacifiste et elle craint trop de prendre goût à frapper un adversaire. Daisy retourne elle aussi au bâtiment d'habitation, et frappe à la porte de Susan. Mais celle-ci lui demande de pas l'importuner. Daisy regagne sa chambre et surfe sur internet. Susan change d'avis et se rend dans la chambre de Daisy qui se détourne vite de son écran en essayant de cacher ce qui apparaît dessus. Susan ressort très gênée, sans avoir pu apercevoir ce que regardait sa copine. Quand Esther revient, elle et Susan se rendent dans la chambre de Daisy, cette fois en frappant avant d'entrer. La conversation revient sur Graham McGraw : Esther et Daisy exigent que Susan se lance dans un flashback sur sa relation avec lui.

Cette série jouit d'une excellente réputation à la fois pour son humour et pour sa sensibilité. le lecteur cerne rapidement le genre de la série : trois copines à la fac, enjouées, se soutenant les unes les autres ce qui n'excluent pas de se chambrer, avec un trait de caractère bien affirmé, différent de l'une à l'autre. Il s'agit donc d'une comédie avec de jeunes adultes étudiants, avec peut-être un peu de drame. Ces trois copines vont donc être confrontées à des périls tels que le retour d'un ex amour, une activité de détente inavouable, la capacité inconsciente d'Esther de transformer toute situation en scène théâtrale, une grosse fièvre pour toutes les trois, un groupe d'étudiants masculins ayant établi un site sur les réseaux sociaux de cotation des étudiantes les plus canons, une blague calomnieuse de phallocratie qui prend des proportions hors de contrôle, sans oublier Nadia la nouvelle pote de Daisy (mais peut-être une mauvaise fréquentation) qui l'accompagne en boîte pour son anniversaire. La distribution de personnages n'est pour le moment pas très importante : les 3 copines et 2 étudiants, avec l'arrivée de Nadia une autre étudiante dans l'épisode quatre. La lecture avance rapidement et le lecteur se prend à sourire régulièrement à une pique ou à une situation, à commencer par la capacité inconsciente d'Esther à augmenter le degré de dramatisation par sa simple présence.

Ce premier tome s'ouvre avec un dessin en pleine page qui permet de se faire une idée du registre des dessins. L'artiste montre les personnages et les environnements avec une approche réaliste et un degré de simplification significatif. le lecteur a parfois l'impression qu'elle n'a pas complètement repris ses traits à l'encrage ou qu'elle les a tracés directement à l'encre, du fait de certaines irrégularités, et de traits quelques fois mal jointifs. Cela apporte une forme de spontanéité qui renforce le fait que ces jeunes adultes sont souvent insouciantes, avec des problèmes à court ou très court termes. Il s'agit de trois jeunes femmes blanches, bien distinctes visuellement grâce à leur coiffure, et leur tenue vestimentaire bien accordée avec leur personnalité, à commencer par les toilettes un peu gothiques d'Esther, les sweatshirts et les pantalons de Daisy avec un touche discrètement babacool, et les habits très fonctionnels de Susan. L'artiste ne transforme pas les planches en défilé de mode ostentatoire : il s'agit de petits détails naturels intégrés de manière organique. Les demoiselles ne parlent pas chiffon régulièrement : elles n'évoquent le sujet que lors du pari entre Esther et Susan, et quand Esther s'est acheté une paire de bottes remarquables. Ce choix dans la représentation est en phase avec la tonalité globale de la narration qui ne cherche pas à se focaliser sur un point de vue féminin affiché.

Il s'installe donc une empathie naturelle chez le lecteur pour ces trois jeunes adultes, car il voit bien leurs émotions et leurs états d'esprit, avec une petite touche comique qui achève de les rendre sympathiques tout en ayant conscience que le récit est raconté de leur point de vue, en leur faveur. de la même manière, dans chaque scène, l'artiste plante le décor avec ce qui peut sembler s'apparenter à une pointe de désinvolture. le lecteur voit bien dans certaines pages, la coloriste a fort à faire pour nourrir les contours encrés, et qu'elle le fait très bien. Mais il voit aussi que souvent, il peut s'il le veut prendre son temps pour regarder les accessoires et les éléments de décors, et qu'ils sont bien présents. Sur le dessin d'ouverture en pleine page, il peut observer le lit avec les draps, la couverture, le plaid, l'oreiller, un coussin, la tête de lit avec un peu de bazar, la table de travail avec l'ordinateur, la descente de lit, le tapis, les paires de chaussures en désordre, le luminaire, et même un squelette. Alors même qu'il peut avoir l'impression de cases aérées, les différentes séquences lui offrent de se promener dans les allées du campus en regardant les pelouses, dans la chambre de Susan similaire à celle d'Esther mais avec des objets différents, dans la cantine universitaire très fonctionnelle, dans la chambre de Daisy elle aussi différente, à la cafétéria, dans une association d'étudiant, dans le bureau du doyen, dans un bar, dans une boite de nuit. Sans en avoir l'air, la dessinatrice représente bien tous ces endroits, les rendant chacun unique grâce à leur aménagement, leur décoration et des accessoires.

Le lecteur a vite fait d'apprécier la compagnie de ces jeunes dames, de sourire aux pitreries plus ou moins conscientes d'Esther, à l'ingénuité de Daisy et au sens pratique de Susan car c'est vrai qu'elle en a. le scénariste ne se contente pas d'un seul registre d'humour, et joue aussi bien sur les piques verbales, que sur les situations comiques pour leur décalage ou pour la tension émotionnelle, avec même quelques gags plus physiques comme de la nourriture atterrissant par mégarde sur la tête d'un étudiant attablé à la cantine. En arrière-plan, le lecteur remarque que les tribulations du trio ne sont pas que des futilités. Il est aussi question d'être malade dans un état où l'accès aux médicaments peut s'avérer aléatoire, de dépendance à la nicotine, de manipulation de l'image d'autrui sur les réseaux sociaux, ou à l'ancienne dans un journal reprographié à la photocopieuse, de prise de substance pour mieux s'éclater. Ces thèmes sont abordés avec légèreté et humour, sans prêcher, ce qui ne les empêche pas d'être bien présents.

Ce premier tome s'avère prometteur : trois sympathiques étudiantes normales et banales, avec une vraie personnalité, et ayant le sens de la répartie taquine. La narration visuelle est sympathique et simple, tout en étant plus nourrie qu'il ne semble de prime abord. le lecteur tout autant que la lectrice ressentent vite une forte sympathie pour Daisy, Esther et Susan. Un premier contact réussi bien qu'un peu court.
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