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Critique de SerialLecteurNyctalope


Nathan. Mes parents m'ont appelé ainsi. Je suis le personnage principal de l'enfant rivière mais ma mère l'est encore plus. Je n'existe pas et pourtant grâce à ce livre j'ai cette chair qui me colle à la peau tant l'autrice a réussi à décrire mon histoire avec talent et maîtrise. J'avais un peu plus de trois ans quand je les ai perdus de vue. En ce moment même, ils doivent penser que je suis mort noyé dans la rivière des Outaouais. À vrai dire, ne comptez pas sur moi pour vous dire si je suis une illusion ou encore en vie quelque part, laissez Isabelle Amonou vous raconter cette histoire. Suis-je au fond de cette rivière que l'Homme ne respecte plus depuis des années ou bien suis-je entouré d'une nouvelle famille ? J'ai lu son roman qui parle avec justesse de mes parents Zoé et Thomas, qui me sont étrangers et qui se sont rejetés la responsabilité de ma disparition l'un sur l'autre. Un moment d'inattention et un écosystème familial s'effondre. J'ai senti les choses comme ma mère. Je présageais qu'ils allaient se déchirer dans un silence assourdissant pendant de nombreuses années.

Je me suis interrogé sur la nécessité de m'avoir crée, alors même que le monde s'effondre en 2030, alors que les villes françaises sont inondées, que les canadiennes sont en proie aux tornades et aux tempêtes. Que le dérèglement climatique n'est plus une utopie mais bien une réalité aux conséquences dévastatrices. Que la crise migratoire et l'érection de murs entre l'Alaska, le Canada et les États-Unis, creusent les inégalités et l'éloignement des peuples. Pourquoi Isabelle Amonou s'est-elle intéressée à mon destin ? Peut-être parce qu'elle a le sens du rythme et un immense pouvoir de suggestion. Peut-être parce que je ne suis qu'un décor pour évoquer l'urgence de notre monde ou pour que revivent l'histoire d'amour de mes géniteurs. J'aime la façon dont elle a su raconter mon environnement sans jamais qu'il devienne un polar ou une dystopie totale.

J'ai bien vu comment ma mère chassait dans les bois mais je ne sais pas encore si j'ai hérité d'elle pour cette faculté à faire corps avec la nature et les éléments. Je ne sais pas si tu as été une bonne mère ou non mais on avait bien ri dans ce canoë même si tu aurais pu me perdre déjà à ce moment-là. Je ne sais pas non plus qui je suis réellement tant les frontières linguistiques et identitaires se sont entremêlées avec désarroi. Que serait devenue ma vie si les êtres vivants autour de moi, m'avaient surveillé correctement ? Serions-nous une famille quelconque qui prendrait le thé le dimanche après-midi en jouant à un jeu de société ? Dans ce monde qui s'effondre, aurais-je eu envie plus tard de faire un enfant et de perpétuer la lignée si bancale de notre famille ? Celle qui alternait les coups, les désastres, les sévices ou qui ne croyait plus en un bonheur simple.

J'ai aimé qu'Isabelle Amonou respecte mes ancêtres autochtones en s'y intéressant de près dans ses recherches. Qu'elle raconte que l'enfermement des enfants et leur assimilation n'est pas sans rappeler le scandales des pensionnats où l'on souhaitait tuer l'Indien. Jamais je n'ai vu de manichéisme dans sa manière d'aborder ces thématiques. Maman était peu prudente, papa l'était beaucoup trop. Il aurait été judicieux de faire l'éloge de la nuance. Je me rappelle de l'indien qui allait au marché, j'en faisais des cauchemars quand Maman la récitait. Cette dernière préférait le printemps qui annonçait la douceur de l'été. Je la revois en train de chasser on ne sait quoi (c'est un secret que je ne peux révéler), fière et droite pensant que je ne la vois pas m'épier. Je te vois Maman, viens me chercher. Fucking mother.

Quand j'ai lu mon histoire sur ce papier si blanc, j'ai pensé à Mamie Camille et ses tableaux au douloureux secret (296), à Papy Martin qui a eu ce qu'il méritait. J'ai pensé à tous ces jeunes isolés qui n'ont plus rien à perdre et qu'on devrait plaindre davantage au lieu de les stigmatiser.
Mes chers parents, je ne vous en veux pas. Remerciez Isabelle Amonou.

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