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Critique de candlemas


On croit toujours connaître les classiques, et les contes en particulier, parce qu'on en a vaguement entendu parler ou parce qu'on garde le souvenir de quelques livres d'images. Pourtant il n'en est rien, le plus souvent.

Ainsi, c'est avec ce court recueil de trois contes, L'ombre, La Reine des Neiges et La Cloche, traduits et commentés par Marc Auchet, que je découvre réellement, à 44 ans, l'immense Hans Christian Andersen. Célèbre en Europe et aux USA durant le romantique XXème siècle, moins apprécié dans son Danemark natal, il y est aujourd'hui adulé, alors qu'à son tour notre pays l'a relégué au statut d'auteur pour enfants. Enfin, je ne sais pas vous, mais personnellement je n'aurais été capable de citer que 5 ou 6 contes sur les 156 créés par Andersen, et je me serais probablement couvert de ridicule en livrant pour trame de la Reine des Neiges celui du film Disney de 2013, qui n'a à peu près aucun rapport avec le conte original en dehors de la présence de Svenn l'humoristique renne.

Marc Auchet, qui dirige l'Institut d'Etudes Scandinaves à Nancy propose à travers ces trois contes un pas de côté pour mieux appréhender la vraie valeur des contes d'Andersen. Outre la Reine des Neiges, il y sélectionne en effet deux contes peu connus, et les trois permettent de mieux cerner la profondeur philosophique des contes d'Andersen.

Andersen, fils d'un pauvre cordonnier parvenu aux sommets en grande partie en autodidacte, a certes puisé dans les légendes de son pays et d'ailleurs le cuir de ses contes, mais il crée ensuite des oeuvres originales à partir de son imaginaire décalé -cf les analyses psychologiques du Vilain petit canard-, de ses souvenirs d'enfance et d'une réflexion sur son époque.

Ainsi, L'Ombre, quoique se situant sous les chaudes latitudes d'Italie, pas sa thématique de trouble et de brume, fait penser à Mary Shelley ou Oscar Wilde. On y retrouve clairement les questionnements nihilistes et nietzchéens de son temps. de même, La Cloche est un texte d'avant-garde annonçant les réflexions sur la philosophie de la nature issues du romantisme.

Conte de fées moins atypique, La Reine des Neiges n'en est pas moins riche de sens cachés. Andersen est un moraliste critique ; il conduit son lecteur dans une réflexion sur le bien et le mal. La candeur de ces propos n'est pas manichéenne : Andersen semble en permanence en appeler à l'innocence de l'enfance pour contrer les mauvais instincts des hommes, et cette part d'enfant parle vrai. de ce point de vue, Andersen m'évoque irrésistiblement la Comtesse de Segur, ou son ami, Charles Dickens.

Le récit est émaillé d'humour, et le lapin blanc d'Alice n'y dépareillerait pas... Andersen a ce talent de conteur décalé de Lewis Caroll, et fait parler les animaux comme un fabuliste du moyen-âge, mêlant le langage populaire à la poésie romantique de ses prédécesseurs Hoffman et Grimm.

Andersen émeut dans une langue très simple, mais les émotions sont subtiles et les idées fines. Mêlant farce et poésie, il scrute, à la fois ironique et indulgent, le cœur des hommes, et nourrit son œuvre de cette humanité.

De ce point de vue, Andersen est en rapport avec une littérature japonaise plus contemporaine. J'y ai pensé en le lisant, et ai découvert en rédigeant ce commentaire qu'en 2016 Haruki Murakami, récipiendaire du prix Andersen, avait rédigé un hommage à Andersen intitulé le Sens des Ombres. Ainsi promu son héritier par delà le pôle, Murakami poursuit la "vision globale dans l’écriture (d'Andersen), et sa capacité à mélanger l’art narratif classique, la culture moderne, la tradition et le réalisme onirique, ainsi que les discussions philosophiques ».

Pour toutes ces raisons, cinq étoiles viennent couronner ma redécouverte de ce conteur né, artiste, original, penseur, poète, moraliste, analyste... pour tout dire inclassable...-merci Marc Auchet-, et je compte bien approfondir par la lecture d'autres contes et analyse de ses contes. Il faut décidément relire adulte les auteurs "classiques", et les adaptations cinématographiques sont une belle occasion de motiver les enfants à découvrir aussi la version originale, souvent plus profonde psychologiquement.





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