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Critique de RogerRaynal


Ce roman étonnant s'ouvre sur une courte biographie de son auteur, au destin tragique (il disparaîtra dans un suicide amoureux), et mentionne aussi sa bibliographie. L'ensemble tient en cinq pages.

L'histoire de la belle Yoko Satsuki est d'abord parue au Japon, comme il est d'usage, en seize épisodes dans une revue littéraire (Shirabaka, entre 1911 et 1913). C'est en 1919 que le roman paraîtra en un seul volume.

Yoko Satsuki est une jeune femme qui se veut libre dans une époque, une culture et un pays où cela se révèle impossible : le Japon rigoriste du début du vingtième siècle. Comme elle l'affirme elle-même, « je suis née à une époque qui n'était pas la mienne, dans un pays où je n'aurais pas dû naitre », (p. 106-107).
Le décès de son père, riche médecin, puis de sa mère, chrétienne bigote, la laisse aux mains de sa famille. Yoko y a déjà créé le scandale par sa conduite insouciante : mariée tout d'abord à un journaliste, Kibe, elle se désintéresse de lui sitôt les noces célébrées. Il faut dire que le brillant journaliste s'est mué en amoureux transi, puis en mari apathique… Il faut dire que la belle Yoko aime séduire et jouer de sa beauté pour se jouer des hommes, dont elle conteste la domination comme allant de soi : « elle ne pouvait admettre que la femme dut céder devant l'homme, que la tradition vint limiter sa liberté » écrit Takeo Arishima (p.39).
Après s'être séparée de son premier mari, Yoko va donner naissance à un enfant dont elle ne s'occupera guère, précisant bien à sa famille que son mari n'en est pas le père. Accompagnée d'un jeune homme conquis, Kotô, elle effectue un petit voyage où nous apprenons son passé au travers de ses rencontres et de ses réflexions. Les amitiés de son défunt père permettent à Yoko d'obtenir gracieusement un billet pour un bateau qui doit l'emmener en Amérique… où l'attend Kimura, un homme auquel elle a été promise, mais qu'elle n'estime aucunement : « Que Kimura soit mon mari, c'est tout à fait sans importance…j'aurai le masque de l'épouse » (p.76). Cette union, Yoko la considère surtout comme l'occasion de gagner l'Amérique, terre promise où une femme peut être plus libre et plus indépendante qu'au Japon. Après une pénible réunion de famille où elle règle ses comptes, Yoko va donc embarquer sur un paquebot pour traverser le Pacifique. Bien entendu, elle usera sur le navire de ses étonnants pouvoirs de séduction, mais sera elle-même prise au piège des sentiments qu'elle est habituée à contrôler, car « comme un être qui abuse de la morphine en n'ignorant rien de sa nocivité de cette drague, Yôko trouvait la joie de vivre dans l'homme, agent destructeur de sa liberté, de sa vie même » (p. 108)…

le récit s'organise en trois parties d'importance similaire : Les préparatifs du départ de Yoko au Japon, son voyage et ses rencontres sur le paquebot, et ce qui va se passer une fois arrivé aux états unis. L'écriture en est simple, claire, et il ne semble pas que plus d'un siècle nous en sépare (si ce n'est dans une scène que l'auteur précise avoir été obligé d'abréger à cause de la censure littéraire de l'époque). Les réflexions de Yoko peuvent en effet paraître foncièrement modernes, teintée de féminisme, mais il faut aussi tenir compte du fait que l'héroïne (comme l'auteur) est censée être d'éducation chrétienne, avec tous les interdits et les tabous de cette religion, fort différents de ceux du bouddhisme/shintoïsme majoritaire au japon, ce qui ne simplifiait guère la vie d'une jeune femme japonaise au début du vingtième siècle. Les descriptions de l'auteur sont saisissantes de réalisme, même lors de la traversée du Pacifique, ce qui s'explique, car Takeo Arishima avait effectué ce voyage en 1903 pour devenir correspondant d'un grand journal aux USA.

La traduction est de bonne qualité, ne laissant pas paraître son âge, et se trouve même correspondre, par les tournures de phrases employées, à l'époque ou Arishima rédigea son ouvrage. Elle n'en est que plus conforme à son esprit. Cette traduction de 1925 a été revue (mais pas renouvelée) dans « les jours de Yoko », titre de ce même ouvrage paru aux éd. Picquier en 1998.
On ne peut que recommander la lecture des aventures de cette étonnante héroïne, qui détonne dans le paysage japonais de l'époque, et qui préfigure la Naomi de Tanizaki, si bien décrite dans « un amour insensé », qui paraîtra dix ans plus tard,1924.
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