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Critique de Acerola13


Issu de la thèse de son auteur, Russia Today (qui devrait d'ailleurs faire l'objet d'une nouvelle édition incessamment sous peu), analyse l'histoire du media russe Russia Today (ou « RT ») à travers le contexte de sa création, ses journalistes emblématiques, son développement à l'international et l'évolution de sa ligne éditoriale.

L'introduction fait un rappel salutaire des deux courants de pensée qui sous-tendent le domaine de l'information : le premier y voit une arme, et donc des enjeux sécuritaires et la nécessité d'une guerre de l'information à mener, tandis que le second la comprend plutôt comme relevant de la diplomatie publique, du soft power où un gouvernement s'adresse directement à la population d'un autre pays que le sien sans passer par les instances diplomatiques traditionnelles.

Le premier chapitre s'ouvre sur Mikhaïl Lessine et Aleksei Gromov, les artisans de la création de Russia Today en 2005. de 2005 à 2008, l'objectif de la chaîne est de rétablir la réputation de la Russie à travers un canal anglophone, mettant en avant les avantages de la Russie (patrimoine, excellence technologique et scientifique, diversité des populations, rôle de l'armée rouge dans la victoire de 1945) pour contre les a priori occidentaux d'une Russie corrompue et alcoolique.
Cette stratégie évolue à partir de 2008 et de la guerre contre la Géorgie en Ossétie du Sud vers une ligne éditoriale beaucoup plus offensive qui fait d'ailleurs grimper l'audience. Les sujets traitant de la Russie repassent au second plan, et la chaîne s'internationalise grâce à un soutien financier important de l'Etat russe. Maxime Audinet détaille le développement international de la chaîne de 2009 à 2020, date à laquelle Russia Today gère six chaînes en continu, une chaîne documentaire, six médias en ligne, le tout en anglais, en arabe, en espagnol, en français, en allemand et en russe. Il analyse également les canaux de diffusion de la chaîne, de la télévision aux médias en ligne (dont le contenu est presqu'intégralement gratuit, et mis en avant par d'importantes campagnes de référencement payant), en passant par les réseaux sociaux, notamment sur Youtube et Facebook.
Il est d'ailleurs intéressant de noter la popularité de la chaîne en Syrie et à Cuba, où le site de Russia Today compte parmi les plus consultés du pays ; d'un autre côté, l'audience des sites en fonction des évènements, avec par exemple d'importants pics lors des manifestations des gilets jaunes en France.
Du côté des réseaux sociaux, l'optimisation de la diffusion des contenus se fait à grand renfort de trolls, de protocoles et de bots et de repartage via des blogs ou des sites alternatifs.

Le deuxième chapitre est dédié aux figures star de la chaîne, et notamment à Margarita Simonian, nommée rédactrice en chef dans la fleur de l'âge et remarquée par Poutine pour sa couverture des guerres tchétchènes et de la prise d'otage de Beslan. Je ne détaille pas les autres protagonistes mentionnés, mais leur parcours est révélateur de leur lien très étroits avec le kremlin.
L'auteur relève aussi les pratiques de recrutement de journalistes étrangers, qui visent souvent de jeunes journalistes en leur proposant des stages gratuits à Moscou et des salaires attrayants pour compenser la grosse tâche que peut constituer Russia Today sur un CV. A noter également leur politique de formation des journalistes africains.
Parmi les présentateurs des émissions, Maxime Audinet distingue deux positionnements : celui des alignés, qui relaient simplement les positions du kremlin, et celui des militants, à l'engagement progressiste, libertaire ou anti-impérialiste, mais dont le point commun est la critique des médias dominants.

Le troisième chapitre, sûrement le plus intéressant, dissèque le discours de RT : proposer un autre récit que celui des médias « mainstream » (forcément occidentaux). Récit sous-tendu par les biais informationnels que l'on connaît bien : la confusion narrative rappelant l'absence de vérité unique, laissant le champ libre aux complotistes pour partager leurs points de vue, dénonciation permanente des médias qui n'assumeraient pas leur ligne éditoriale orientée, et donc décrédibilisation de l'objectivité journalistique, et enfin pratique du « whataboutisme » opposant à chaque critique une action également critiquable de la partie adverse (exemple, vous pleurnichez sur la Crimée, rappelez-vous du Kosovo).

Et donc, conclusion de l'auteur, même si on pouvait s'en douter, RT constitue finalement un puissant moyen au service de l'Etat russe pour dévaloriser l'Occident libéral, dénigrer systématiquement la puissance américaine et son interventionnisme, et renforcer le soutien aux actions extérieures de la Russie en discréditant ses opposants (dénonciation du dysfonctionnement du système politique ukrainien, exagération de l'importance des néo-nazis en Ukraine, diffusion d'une foule en liesse à l'arrive de l'armée syrienne à Alep en 2016…).

Un bouquin qui se lit rapidement et au contenu bien intéressant, peut-être un peu trop centré sur les biographies des protagonistes de RT, mais qui permet de mieux comprendre la machine propagandiste russe et surtout son évolution ces dernières années à travers un exemple concret. J'ai un peu regretté le style très académique voire « scolaire », mais ça ne devrait empêcher personne de le lire !

Un article sur la mort suspecte de Mikhaïl Lessine : https://www.letemps.ch/monde/lancien-patron-medias-semble-assassine
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