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Critique de Bookycooky


".......elle ne me quitte pas, son nom revient, trouve en moi les points de résonance pour m'empêcher de me détourner, se loge dans une zone d'intranquillité, au douloureux point de frottement où regrets et hontes sont à l'oeuvre. En partie parce que fut une longue période de ma vie où j'aurais voulu être –ou j'ai même cru pouvoir devenir –comme Razan. Et le sentiment de honte d'avoir osé penser que je le pouvais, d'avoir abandonné et trahi la jeune femme idéaliste et confiante que j'ai été, ne passe pas, reste vif, et j'ai peur d'avoir à rester en sa compagnie, de me retrouver à ses côtés, petite et timorée."
"Elle" c'est Razan Zaitouneh, avocate, dissidente syrienne disparue sans laisser de traces dans la nuit du 9 au 10 décembre 2013 à Douma, ville de la banlieue de Damas où elle pensait avoir trouvé refuge. La narratrice est l'écrivaine elle-même. Donc nous sommes en pleine dans la terrible actualité syrienne et Justine Augier essaie dans ce livre de restituer l'histoire de cette avocate, activiste des droits humains, dans la Syrie des années 80 à nos jours. Qu'une occidentale raconte l'histoire d'une syrienne n'est pas évident du tout, même si elle y a vécu et connaît bien le Moyen Orient. Augier l'accepte et joue sur ce regard d'étranger sur une dissidente du Moyen Orient, en la plaçant dans un contexte universel ,"mettre le doigt sur son universalité."
Elle ne la connaît qu'à travers les médias. À travers des bribes transmises par la famille et ceux qui ont pu la connaître et les propres écrits de Razan, elle va relier les différents éléments pour faire apparaître une image de cette femme à la personnalité exceptionnelle, qui à 14 ans décide d'être financièrement indépendante, vendant des montres à domicile et faisant du porte à porte, une chose impensable dans le Damas des années 80, ni d'ailleurs plus tard. Elle qui grandit au sein d'une famille conservatrice et religieuse, devient une jeune femme libre et laïque, "Razan sortie de nulle part".....
Certaines choses qu' Augier écrit comme "L'absence de confiance est une question centrale en Syrie ", l'état d'urgence en permanence, (contre des ennemis plutôt imaginaires, pour justifier à la face du monde, toutes les horreurs commises), le déroulement des procès des prisonniers politiques, des espèces de miliciens qui sortent de nul part aux premiers soulèvements,......en faites sont présents dans tous les pays aux régimes totalitaires, rien qu'à voir ce qui se passe chez le voisin.....la peur annihile tout, des deux côtés, le burlesque de la situation. Un burlesque qui déteint aussi sur la ressemblance du régime syrien alaouite avec le groupe salafiste d'opposition,qui l'ironie du sort fera disparaître celle (Razan)qui les défend.

La prose a le mérite d'être simple et clair, comme les idées et réflexions d'Augier, exprimées avec une grande sincérité. Partant de là, son témoignage sans prétention, fouillé et précis sur un sujet brûlant d'actualité, sur une personne représentative de tous les dissidents du monde, disparus,tout pays confondus, Amérique du Sud, Moyen Orient.....est poignante et excellente. Elle y insère aussi ses propres réflexions, ses expériences et vécus au sein de l'ONU et des ONG, comme quoi elle a aussi du vécu dans cet enfer de cette partie du monde, même si c'est indirectement.J'ai beaucoup apprécié l'intelligence de ses jugements personnels, sur les différentes informations recueillies sur la personnalité de Razan, ses goûts musicaux, sa sexualité....., ou sur d'autres circonstances, comme l'ambiguïté que sème un journaliste irlandais au sujet de l'attaque chimique que Razan affirme être réalisée par le gouvernement , plus de 1400 morts dont la plupart des civils, femmes et enfants.....
Vraiment un grand Bravo à Justine Augier pour ce livre bouleversant qui nous fait connaître les enjeux et les détails terribles du dessous du régime de terreur d'Assad, en même temps qu'une femme courageuse, hors norme, qui j'espère est encore en vie, ce dont je doute. Razan a reçu en octobre 2011" le prix Anna-Politkovskaïa, décerné chaque année depuis 2007 à une femme qui défend les droits de l'homme dans une zone de conflit et qui, comme Anna, prend le parti des victimes dans ce conflit, s'exposant ainsi personnellement à de grands risques. (Le même mois elle reçoit aussi le prix Sakharov.)".
Si le sujet vous intéresse, je vous recommande fortement ce témoignage bouleversant, car ce qui se passe en Syrie implique malheureusement l'Europe et nos vies beaucoup plus qu'on ne le pense. Inutile de lire les atrocités de la Shoah pour que l'histoire ne se répète pas, quand presque encore pire se passe au présent, à quatre-cinq heures d'avion de chez nous et qu'on ne peut rien y faire ?....................
(" "N'a rien pu faire” n'est pas la bonne expression ; “n'a pas voulu” ou “n'a pas trouvé d'intérêt à” est sans doute plus juste ".....une des dernières paroles de Razan , concernant la communauté internationale.)

"Au bout de la route, il y aurait du lait et des oeufs pour les enfants affamés, des vêtements chauds, du blé doré que les mains habiles des femmes transformeraient en pain. Il y aurait des médicaments pour soulager les souffrances des malades et sauver des vies. Au bout de la route se trouvait un paradis perdu, la promesse d'un semblant de vie, la promesse de la chaleur, de la satiété et de la guérison."
"I will never leave my country –never."
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