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Critique de mllesarahhafiz


Un style incontournable et une maîtrise parfaite du récit

La force de ce roman réside dans le style si particulier de son auteur qui sait mêler avec brio dialogues, descriptions des personnages et lieux. Ainsi, on traverse la tranquille et douce campagne anglaise du XiXème siècle pour atterrir dans un Londres animé, mondain et bourgeois. Pour chacun de ses personnages, Jane Austen esquisse à merveille les contours de leur personnalité et les mets en scène dans diverses situations de la vie quotidienne. Il en résulte que certains d'entre eux nous apparaissent comme étant caricaturaux : Marianne est une jeune fille passionnée, spontanée et écervelée et Elinor une jeune femme ( ayant dépassée le stade de l'enfance et de l'insouciance) raisonnable et tempérée. Malgré tout, la finesse et la subtilité de l'écriture de l'auteur permet d'atténuer ce manichéisme et cela d'autant plus qu'elle fait volontairement de ces soeurs deux caractères diamétralement opposés. Les deux sont de toute évidence confrontées aux mêmes drames : celle de la modestie de leur situation, celle de l'obligation de trouver un mari et enfin celle de conserver la respectabilité de leur famille. Outre les personnages, Jane Austen excelle pour dépeindre les petites scènes de « ménage » de la vie de couple tels ceux de Mr Henry Dashwood-demi-frère de Marianne et Elinor- et de sa femme Fanny concernant la question de l'héritage et de l'argent.

Même si le texte est fluide et la lecture aisée, certains chapitres s'avèrent particulièrement longs tels que ceux se déroulant à Londres où il ne se passe pas grand-chose et où les récit traîne en longueur. Dès lors, on a plus qu'une hâte : celle de quitter cette ville mondaine et hypocrite pour rejoindre la douceur campagnarde…

Raisons et sentiments : une satire de la société ?

Les romans de Jane Austen présentent tous cette particularité, celle de fournir au lecteur plusieurs grilles d'analyses et d'interprétations. Derrière Marianne la passionnée et Elinor la raisonnable, ne se cache-il pas une critique pour la moins virulente de cette société bourgeoise de la fin du XVIII ème et du début du XIXème ?

Humoristique peut-être, mais satirique certainement lorsque l'on assiste à toutes ces petites vilenies, ces hypocrisies dictées par la vie mondaine et l'étiquette. Les femmes sont telles des pions se déplaçant et errant sur un échiquier géant, guettant les points faibles de leurs adversaires et frappant là où elles peuvent causer le plus de dégâts. le style de Jane Austen n'est jamais vulgaire, mais extrêmement subtile. Sans jamais le dire à son lecteur ni même s'adresser à lui, elle parvient à lui décrire l'hypocrisie des amitiés, les convenances sociales bourgeoises, le mépris des classes sociales inférieures, et la glorification de l'argent, de l'avoir et du paraître.

De même, comment ne pas considérer ce roman comme un manifeste féministe ? N'y voyez point de revendications, juste une critique qui se dessine en filigrane tout au long du récit. Ainsi, la part belle est faite aux femmes, ce sont elles qui sont victimes, bourreaux, manipulatrices, amoureuses et désespérées. Être une femme à cette époque est un terrible dilemme : il faut paraître suffisamment éduqué et cultivée pour faire honneur à son rang, à son nom et à sa famille mais il faut aussi savoir être stupide, se plier aux désirs de l'homme et reconnaître sa supériorité. Les personnages masculins sont d'ailleurs peu attrayants : fades, nonchalants ou encore indifférents. On ne peut que les dédaigner ! Aucun charisme n'émane d'eux, et on en viendrait presque à regretter le beau et Ô combien indétrônable Mr Darcy !

Raisons et sentiments : impossible équation ?

Je reprends volontairement cette expression de la 4ème de couverture car il s'agit bien de savoir s'il faut laisser paraître ses sentiments, s'abandonner totalement à eux sans les maîtriser ou au contraire faire preuve de tempérance et de « raison »? Dans un premier temps précisons que le titre en version original est bien sense and sensibility que l'on pourrait traduire non pas comme Raisons et sentiments mais bien comme bon sens et sentiments . Il n'est donc point question d'une raison dotée d'un intelligence supérieure ou d'un quelconque impératif auxquels on doit se plier mais davantage d'un savoir-être en société, d'un respects des normes et conventions sociales.. Ne pas montrer ses sentiments ne signifie pas que l'on en soit privé, mais simplement que l'on ne souhaite pas que les autres le voient. Surtout si ces derniers sont capables de salir notre réputation ou notre respectabilité qui sont particulièrement importants lorsque ait une femme, de condition modeste de surcroît vivant à la fin du XVIII ème siècle. Telle est Elinor qui se débat intérieurement, mais qui ne laisse rien paraitre de son désespoir et de son chagrin.

De même que Marianne est volontairement exagérée dans son intempérance. Intempérance qui s'avère plus que destructrice mais qui lui confère tout de même cette « liberté » d'être ce qu'elle est vraiment sans avoir à jouer à rôle qui n'est pas le sien. Il n y a pas là de réponse unanime à fournir, pas de oui ou non mais simplement de la nuance et c'est ce qu'a voulu montré Jane Austen en caricaturant à souhait ses deux protagonistes.

Une deuxième partie nettement moins réussie et une fin abrupte :

En tant que lecteur, le comportement de Marianne peut en agacer plus d'un et ça été mon cas particulièrement dans la deuxième partie de Raison et sentiments. Ce que j'ai le plus regretté à ce moment-là du récit est que le personnage de Marianne devienne en quelque sorte le coeur du roman autour duquel gravitent tous les autres personnages. On ne la voit pour ainsi dire jamais voire très peu et c'est à travers Elinor que devront avoir lieu certaines confrontations. le fait que tout le monde soit sans cesse en train de la plaindre est aussi pesant au fil des chapitres car l'on a qu'une envie c'est que cette dernière sorte de son monde enchanté et vienne s'expliquer !

Pour autant, Marianne est importante dans la construction de l'intrigue, et son « effacement » est aussi nécessaire et permet à l'auteur de faire mûrir d'autres personnages tels que Elinor, Willhouby ou encore le colonel Brandon.

J'ai refermé ce livre avec une sensation d'inachevé et je n'ai pas pu me résoudre à paraitre quelque peu déçue. En effet, alors que les derniers chapitres traînent en longueur, la fin arrive de façon si inattendue et si abrupte que l'on ne s'y attend pas. En une demi page, Jane Austen clôt l'histoire de Elinor et Marianne, l'affaire est réglée et la boucle est bouclée comme si l'auteur, s'étant sentie envahie par ses propres personnages, désirait à tout jamais les enfermer dans cette prison de papier afin qu'ils ne puissent plus jamais nous déranger.
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