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Critique de Osmanthe


Ce récit n'est pas l'histoire du déroulement d'années d'enfance dorées, calmes et tranquilles, dans cette ville provinciale du sud de la Chine, ni au contraire d'un supplice au long cours dans la misère et la maltraitance. L'enfant qui raconte n'a qu'un sujet : sa gouvernante Jade.
Dès la première rencontre, Rong Er en tombe amoureux. La jeune femme, probablement trentenaire, attire les convoitises des domestiques masculins au service de la famille et quelques jalousies de Panzi, la tante de Rong Er. Mais elle sait dissuader les importuns. Rong Er qui l'observe va bientôt découvrir qu'elle part souvent en douce rejoindre chez lui un garçon d'une vingtaine d'années, Qingsheng. Au début, il ne comprend pas trop la nature de cette relation, pensant qu'il s'agit d'un frère de lait, surtout que Qingsheng l'appelle grande soeur…Mais il ne va pas tarder à comprendre qu'ils sont amants. Dès lors, ce petit seigneur, plus guidé par une vive curiosité et un désir de décrypter ce monde des adultes, que par la jalousie (il est tout autant séduit par Qingsheng et son extrême fragilité apparente, quasi-féminine, que par Jade), ne va pas les lâcher d'une semelle. Il est témoin de la vive tension permanente entre les deux, entre une Jade inquiète qui couve et surveille sans cesse Qingsheng, qui semble terrorisé et fuyant. Lorsque Rong Er entraîne une fois Qingsheng au théâtre, il ne se doute pas que l'illumination qu'il semble avoir pour une des actrices va se transformer en liaison…Quand il le découvre, il ne trouve rien de mieux à faire que d'entraîner Jade dans son sillage pour qu'elle le voit de ses propres yeux. Dès lors, l'engrenage du drame qui va se jouer est enclenché…
Un court roman dramatique sur la passion amoureuse, qui semble empreint de réminiscences des grandes oeuvres de Stendhal, Flaubert, ou Mérimée vu la concision du format. Ce qui frappe également, c'est la puissance évocatrice des trois ou quatre scènes décrites rassemblant Jade et Qingsheng (voir les citations par ailleurs). La mise en scène du drame est diaboliquement précise, et là on pense au théâtre de Shakespeare. C'est aussi la figure marquante de Jade, qui sous ses airs de jolie femme douce, s'avère être jalouse et dominatrice avec son amant, et dévoile même un visage inquiétant voire démoniaque, se transformant en véritable Médée dans sa passion irraisonnée et (auto) destructrice.
Le jeune narrateur est décidément un enfant trop gâté et perturbateur, qui sous ses airs innocents de gamin amoureux inoffensif de sa nounou, va, mine de rien, venir perturber le jeu des adultes, jusqu'à jouer un rôle de catalyseur du drame final. Le titre du livre est très trompeur, car finalement centré sur la relation passionnée de deux jeunes amoureux, qui bascule dans le drame en grande partie par la malheureuse entremise d'un enfant trop curieux.
Cet enfant s'avère avant tout capricieux, auto-centré, et ambigu dans son rapport aux autres. Il semble aimer Jade, la trouve belle, mais lui reproche ses quelques petites rides naissantes. Il est fasciné par le beau et efféminé Qingsheng, mais se moque de sa timidité maladive. Il admire le jeune couple, mais ne voit pas qu'il joue les voyeurs et les gêneurs, comme s'il se faisait un plaisir, en tout cas un devoir d'être le premier témoin, pour nous rapporter ce qu'il voit et entend...jusqu'au spectacle morbide final dont il n'a plus qu'à se régaler comme de la contemplation d'un tableau parfaitement agencé, à la fois romantique, fantastique, et décrit avec un réalisme saisissant.
Servi par une belle écriture classique, voici un livre dense et puissant, par un écrivain marquant de la littérature contemporaine de langue chinoise.
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