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Critique de berni_29


Mais que s'est-il passé dans la tête d'Honoré de Balzac lorsqu'il écrivit le Lys dans la vallée ? Qu'a-t-il donc voulu nous dire ? Je n'ai pas encore lu beaucoup de livres de Balzac, mais ce roman, me semble-t-il, détonne dans son oeuvre à bien des égards.
Je vais raconter trois expériences personnelles dans ma rencontre progressive avec ce livre…
Adolescent, poussé par une sorte de romantisme à la fois échevelé et totalement pataud, j'ai cru bon un jour de me lancer dans la lecture de ce roman. Il m'est tombé des mains au bout de quelques pages… J'ai préféré alors me diriger vers Boris Vian, Jack Kerouac, Arthur Rimbaud...
Plus tard, c'est-à-dire, il y a quelques années, j'ai tenté de nouveau l'expérience. Et là, j'ai tenu bon jusqu'au bout. Est-ce dû au bénéfice de l'âge, à la sagesse et la patience qui en découlent ? Non, je dois avouer qu'avec quelques amis abonnés de la bibliothèque communale que je fréquente, nous avons eu un jour l'idée de lire un classique de la littérature française pour en parler ensuite autour d'un bon verre. Le choix se porta sur le Lys dans la vallée. Quand je dis que j'ai tenu bon, sans cet enjeu collectif, il y aurait eu là encore mille prétextes pour lâcher le livre et passer à d'autres lectures. Bien sûr j'ai été séduit par l'histoire, les personnages, la beauté de l'écriture dans la peinture des paysages de Touraine, tout le monde connaît cela, tout a été dit ici ou ailleurs, je ne vais pas y revenir. Mais quelque chose pourtant m'agaçait fortement. Dans la beauté de l'écriture, j'avais tendance à trouver que l'auteur forçait un peu le trait dans ce lyrisme exacerbé. Bref, pour dire crument les choses, je trouvais qu'il en faisait des tonnes ! Et puis d'emblée le personnage principal du livre, celui par lequel commence le roman, ce fameux Félix de Vandenesse, enfin tout de même, il fallait vraiment s'accrocher ou être un saint pour le trouver sympathique. Pour être franc, je l'ai tout d'abord trouvé insupportable, immature, ampoulé dans son orgueil et son lyrisme d'opérettes. Une vraie tête à claques ! Et maladroit de surcroît dans l'expression de ses désirs amoureux… Bon ça encore, il est possible de le lui pardonner… Je vous livre d'ailleurs un élément probant de cette maladresse. Le roman n'est rien moins qu'une longue lettre écrite par Félix à une certaine Natalie de Manerville, dont il cherche à conquérir le cœur. Et le roman s'achève par la réponse de celle-ci. Notre jeune Félix prétend même céder à son désir. Pour cela il décide de lui écrire une lettre pour lui raconter son passé afin qu'elle apprenne ainsi à mieux le connaître dans ses sentiments, une lettre qui fait pas moins de 250 pages, c'est-à-dire l'épaisseur du livre ! On ne pourra pas ici lui reprocher d'être dur à la tâche, ni le geste empli de sincérité. Mais voilà qu'en guise de propos introductif, il ne trouve rien de mieux que d'écrire « Enfin, tu l'as deviné Natalie. Peut-être vaut-il mieux que tu saches tout : ma vie est dominée par un fantôme ». On le saura très vite, ce fantôme est féminin et porte un nom : la comtesse Blanche de Mortsauf, que tout au long de sa longue confession, Félix va appeler Henriette, autre personnage clef du roman, Imaginez la pauvre Natalie qui attend avec impatience la lettre de Félix pour donner sa réponse et découvre que la place est déjà prise par une autre rivale : il n'y a rien de plus encombrant dans le coeur d'un homme que le fantôme d'une femme jadis aimée… Plus loin dans le récit, nous voyons ainsi Félix s'éprendre tout d'abord de la comtesse de Mortsauf, lors d'une réception dans une scène presque grotesque qui peut prêter à sourire : saisi d'un coup de foudre, il enroule son visage dans le dos et les épaules dénudées de la comtesse. Puis, le roman va s'étirer avec langueur et longueur dans un lyrisme certes fait de phrases très poétiques mais presqu'à l'excès, autour de cette relation amoureuse platonique et chaste entre l'impatient Félix et la vertueuse comtesse, qui se courent l'un après l'autre sans se rattraper, jusqu'à l'agonie et la fin tragique de celle-ci… Au milieu du récit surgit une femme anglaise, romantique, volcanique, extravagante, qui elle, ne passera pas par quatre chemins pour s'enflammer avec le jeune éphèbe... Et voilà !
Je serais resté sur cette impression passable si je n'avais pas, il y a quelques semaines, écouté une rediffusion d'une émission de France Culture où s'exprimait un certain Éric Bordas, - tiens ce nom nous rappelle vaguement le souvenir de nos chers ouvrages scolaires -, un enseignant spécialiste de l'oeuvre de Balzac. Et là brusquement, tout m'est apparu sous un jour nouveau. Alors je me suis de nouveau engouffré dans la lecture du Lys dans la Vallée, énervé d'être passé à côté de l'essentiel et là j'ai dû admettre que le cher Honoré de Balzac s'était bien amusé de nous, chers lecteurs…
Ainsi, je comprenais mieux sa fameuse citation un peu paradoxale : « Les femmes les plus vertueuses ont en elles quelque chose qui n'est jamais chaste ». Parlait-il de la chaste et vertueuse comtesse de Mortsauf ? Non seulement, je pense que oui, mais je suis désormais convaincu que derrière le ton lyrique et platonique du récit se cache une oeuvre ambiguë, ironique, subversive, gourmande et brûlante d'érotisme dont je vais vous livrer quelques indices que j'ai pu glaner ici et là grâce à ma relecture guidée.
Tout d'abord, n'oublions pas que tout au long du roman, ce n'est pas Balzac qui s'exprime dans ce ton ampoulé et parfois grotesque, mais le narrateur qui n'est autre que Félix. C'est une manière pour l'auteur de dépeindre de manière satirique tout ce qu'incarne le personnage de Félix dans son immaturité, son arrivisme et son ascension sociale. Et la réponse cinglante de la lettre de Natalie, qui vient sceller le roman, crédibilise totalement cette version.
Puis, Félix débaptise Blanche de Mortsauf, prénom incarnant clairement la vertu pour la rebaptiser Henriette tout au long de leur relation. Pourquoi Henriette ? Au tout du début, Félix évoque son enfance difficile, son séjour en pension, le dénuement et la convoitise. « Les célèbres rillettes et rillons de Tours formaient l'élément principal du repas que nous faisions au milieu de la journée, entre le déjeuner du matin et le dîner de la maison dont l'heure coïncidait avec notre rentrée. Cette préparation, si prisée par quelques gourmands, paraît rarement à Tours sur les tables aristocratiques ; si j'en entendis parler avant d'être mis en pension, je n'avais jamais eu le bonheur de voir étendre pour moi cette brune confiture sur une tartine de pain ; mais elle n'aurait pas été de mode à la pension, mon envie n'en eût pas été moins vive, car elle était devenue comme une idée fixe, semblable au désir qu'inspiraient à l'une des plus élégantes duchesses de Paris les ragoûts cuisinés par les portières, et qu'en sa qualité de femme, elle satisfit ». Non, me direz-vous, il a osé ?! Attendez, cette allusion prend tout son sens dans l'une des premières scènes fondatrices du roman où Félix enroule et déroule son visage le long des épaules de la Comtesse de Mortsauf, c'est-à-dire, lui rappelant cette façon gourmande d'étaler les rillettes sur une tartine de pain. La scène devient dès lors sensuelle, et rebaptisant Blanche du prénom d'Henriette, il va ainsi l'ancrer dans un des désirs primitifs de son enfance.
Puis, plusieurs scènes vont se déployer où Félix cueille des fleurs tous les matins pour les offrir à Henriette. On pourrait trouver tout ceci un tantinet suranné... Lisons plutôt ceci : « du sein de ce prolixe torrent d'amour qui déborde, s'élance un magnifique double pavot rouge accompagné de ses glands prêts à s'ouvrir, déployant les flammèches de son incendie au-dessus des jasmins étoilés et dominant la pluie incessante du pollen, beau nuage qui papillote dans l'air en reflétant le jour dans ses mille parcelles luisantes ! ». Henriette accueille ce bouquet avec ravissement, elle exprime même un petit cri de contentement et ne sera pas en reste pour lui composer à son tour des bouquets rivalisant d'expression. Dites-le avec les fleurs !
Au fur et à mesure que nous voyons l'histoire se dérouler, nous découvrons un personnage fort antipathique, bourreau d'Henriette son épouse, c'est-à-dire le Comte de Mortsauf, lui-même. Il est malade, il a des colères soudaines, tels des accès de folie brusque et violents à l'égard de son entourage. Il devient quasiment impotent, ne pouvant plus s'occuper lui-même de la gouvernance de la riche propriété, c'est son épouse Blanche qui va prendre le relais, se révélant ainsi un personnage féminin d'une grande stature sociale. Là encore, il y a quelque chose d'avant-gardiste de la part de Balzac, faisant de cet ouvrage une oeuvre féministe et sociale à sa manière, engagement précurseur pour l'époque. Mais revenons au Comte de Mortsauf. Diverses allusions évoquent sa vie libertine. A tel point qu'il n'y a qu'un pas pour tenter d'expliquer les symptômes et le nom de sa maladie : la syphilis. D'ailleurs, de quoi meurt Blanche de Mortsauf, sans doute contaminée par l'indigne époux ? Il est possible de croire qu'elle meurt d'un grand chagrin d'amour, mais tout de même, quelques détails ne laissent point planer le doute... Et d'ailleurs, les deux enfants du couple ne sont-ils pas eux aussi chétifs, maladifs... ? Alors, tout d'un coup cette histoire à première vue lyrique et chaste prend une allure douloureusement sulfureuse.
Enfin, l'agonie et la fin tragique de Blanche m'a fait penser à celle d'Emma Bovary ou bien à celle de Renée Saccard dans la Curée, autres personnages féminins dévastés par la passion amoureuse. Mais qu'ont-ils tous ces grands auteurs romanciers du XIXème siècle, Flaubert, Balzac, Zola, à faire mourir leurs héroïnes féminines, dans d'atroces souffrances où leurs brûlures portent aussi le signe de l'amour ?
J'espère que ce billet vous aidera à revisiter ce classique de la littérature française avec un regard nouveau.
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