AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de michfred


Le Lys dans la vallée est le roman de la contention, de l'inhibition et de la frustration.

Dès les premières mesures.

L'enfance et l'adolescence tristes de Félix -le mal nommé- s'étiolent dans la froideur et l'indifférence maternelles: la première frustration est celle de l'amour premier, celui qui ouvre la porte à tous les autres, l'amour maternel.

Aussi quand il rencontre, à un bal, Blanche de Mortsauf, femme (mal) mariée, timide, et provinciale, leur découverte mutuelle se fait d'extraordinaire façon: un « parfum de femme » vient d'abord toucher les sens du jeune Félix, lové sur une banquette, comme un enfant que sa mère y aurait oublié. Ragaillardi par cette fragrance sensuelle, Félix se retourne : ce ne sont ni des yeux ni un visage qui donnent une forme à l’objet de son trouble , mais un dos, des épaules, un décolleté plantureux dans lequel son regard gourmand plonge et au ..sein duquel il enfouit bientôt son visage éperdu, sans un mot! Surprise, bouleversée, attendrie, madame de Mortsauf ne sait comment accueillir –et repousser - cet assaut : est-ce celui d'un jeune homme débordé par ses sens ou celui d'un enfant perdu? C'est en femme, en reine offensée, qu'elle réagit en s'écriant "Monsieur?" donnant ainsi à Félix le statut d'homme qu'il désirait violemment, mais la mère en elle choisit l’enfant, et la femme est touchée au plus profond..

Ce "raptus" amoureux donnera le ton à tout leur amour: fringale violente et mutisme torturé, audace et rétention, sensualité et maternage...

Félix et Blanche sont amenés à se revoir, à se désirer, à s'interdire tout autre licence, comme si toute leur libido s’était donné libre cours une fois pour toutes dans cette première rencontre, dos à dos..

Blanche est mariée à un homme cruel et peu aimable, elle est mère aussi, et bardée de devoirs conjugaux, familiaux, religieux…

Félix laisse alors sa sensualité s'exprimer avec une miss anglaise fort décomplexée. Blanche en souffre, dévorée d'une jalousie sans nom qui la ronge et la détruit. Félix commence sa vie quand elle l’achève mais il sera toujours marqué au fer par son premier amour, si incomplet fût-il, amour inoubliable, pur comme le lys de cette vallée de Touraine dont Blanche était le plus beau fleuron.

C’est un livre que j’ai lu trop tôt pour l’apprécier : le romantisme échevelé de cet amour chaste et tourmenté a très vite agacé l’adolescente que j’étais. Il me fallait des audaces plus stendhaliennes –Mathilde de la Môle coupant ses cheveux, Julien saisissant la main de Madame de Rênal sur le coup de dix heures, Madame de Rênal tirant sur Julien : voilà ce qui me faisait vibrer ! Les atermoiements et scrupules de Blanche, les transports muets de Félix avaient le don de m’énerver..

Puis un professeur exceptionnel, Gérard Gengembre, spécialiste de Balzac, et auteur d’une excellente monographie , m’a fait relire, découvrir et adorer ce livre complexe.

Je lui ai depuis trouvé des audaces, insoupçonnées à la première lecture- la scène de première rencontre, atypique et insensée, aurait dû me mettre la puce à l’oreille pourtant.

La maladie de Blanche dit assez clairement, pour un roman réputé puritain et romantique, les dégâts, sur le corps, des désirs insatisfaits. Le désir féminin y est exploré avec une rare pénétration…mais le tout est délicatement masqué par un emballage romantique de bon ton.

L’immaturité affective et sexuelle de Félix, privé de mère et qui se cherche autant une maman qu’une maîtresse, fait penser à celle de Jean-Jacques (Rousseau), autre enfant sans mère, qui trouva dans Madame de Warens une douce association des deux, la mère et l’amante, accomplit sous son patronage une éducation sentimentale accélérée et fit souffrir terriblement celle qu’il appelait « Maman » avec toutes ses fredaines de petit animal gourmand …

Le roman est aussi, on le sait, une transposition de la vie de Balzac, petit garçon doté d’une mère mondaine et peu attentive, qui chercha des mères de substitution dans toutes ses compagnes, à commencer par Laure de Berny , son premier amour, et eut même à la fin de sa trop courte vie, une amante épistolaire , Eve Hanska, ce qui est le comble de l’amour platonique et du goût exacerbé pour la distance -Eve était polonaise- et pour la lenteur -les postes du XIXème siècle n’avaient pas l’instantanéité de Facebook ou des courriels d’aujourd’hui… distance et lenteur qu’il considérait sûrement comme des aphrodisiaques puissants comme le montrent leurs lettres torrides et leur mariage…alors qu’ils ne s’étaient jamais rencontrés !

Un livre plein comme un œuf de signes et de sens ..pas si « liliaques » ni élégiaques que cela !
Commenter  J’apprécie          7011



Ont apprécié cette critique (49)voir plus




{* *}