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Critique de twilight_flower


« le second à droite et tout droit jusqu'au matin ! »
Une adresse improbable, une invitation impossible à refuser, une formule magique qui résonne dans le coeur de bien des enfants ; même de ceux qui sont devenus très grands enfants, pour peu qu'ils n'aient pas oublié. Un secret et une révélation tous à la fois, quelque chose qui nous ouvre les yeux sur une réalité plus vaste mais que l'on doit garder pour soi comme un trésor. Une promesse, fragile de tous les espoirs et de tous les rêves qu'elle porte. C'est le moment où tout peut basculer, le moment où les fenêtres plus que les portes s'ouvrent vers un autre horizon, plein de dangers et d'aventures – l'un n'allant pas sans l'autre. Un voyage, donc, vers l'Imaginaire. Et alors quel meilleur guide pour nous y mener, alors, qu'un enfant ?

Enfant divin, enfant intérieur, enfant éternel. Peter, dans toute sa splendeur. « Joyeux, innocent et sans coeur », sans notion de bien ou de mal, tout en se montrant à l'occasion d'une naïveté touchante. Rejetant avec force le monde des adultes, ses obligations écrasantes, sa normalité destructrice. Tout entier dédié au jeu, au point parfois de ne plus vraiment réussir à le distinguer de la réalité. Une image que l'on reconnaît tous, pour y avoir correspondu un jour ou l'autre. Une réminiscence infime, mais tenace. Comme un mouvement infime que l'on n'aperçoit que du coin des yeux, vol d'une robe dans un souffle d'été ou soupir d'une ombre. Comme un écho d'une mélodie fredonner un millier de fois et que l'on a au bord des lèvres, au bord de l'âme. Avec un chagrin indicible qui prend à la gorge à ce souvenir refoulé, perdu, non-né. Parce que, nécessairement, les choses ont changé et nous avons grandi, sans que l'on ne sache jamais si elles ont changé parce que nous avons grandi ou si nous avons grandi parce qu'elles ont changé. Et la douleur est d'autant plus grande que l'existence de Peter Pan est là pour nous rappeler ce qui a été et ce que nous ne pourrons jamais plus être, quel que soit notre désir. Peter, dont le destin est, de toute éternité, d'être cette figure puérile. Un sort bien triste aussi, en réalité. Sa condition impose l'immuabilité, requiert la pérennité, nécessite la continuité. Et ce, d'une manière tragique.

Avec toutes les péripéties qu'il vit et qui le caractérisent, il devrait pourtant y avoir des épreuves particulièrement marquantes, qu'elles soient exaltations triomphantes ou amers revers. Des expériences marquées dans le temps qui devraient finir par avoir un impact, un poids, une importance suffisante pour qu'il ne parvienne plus à s'envoler à nouveau, malgré la poussière de fée. Parce qu'il n'y aurait plus suffisamment de pensées heureuses, plus de joies assez fortes. Parce que les souvenirs et les sentiments seraient trop lourds à porter. Parce que les événements, à force de répétition, perdraient de leur beauté et de leur magie, ne laissant sur la langue que le goût de cendres de la banalité.
Pour rester entier et inaliénable au sein même de l'évolution, il y a un prix à payer. Un prix perpétuel pour être à jamais ce qu'il est. Sa mémoire. La solution est l'oubli. Elle est son chemin vers l'Eternité. Sans souvenir, tout reste une (re)découverte permanente. Tout est aventure fabuleuse. Ni fracture, ni rupture. Ni avant, ni après ; ni passé, ni futur. Il n'y a rien pour comparer, rien pour tirer vers l'arrière, rien à regretter avec mélancolie. Ennemis comme alliés. Êtres abhorrés comme personnes chéries. Capitaine Crochet, Clochette, Wendy : tout disparaît avec le Temps et même lui, pourtant maître (de jeu) incontesté, n'y peut rien.
Seul demeure Peter.
Seul, demeure Peter.

Des nouveaux cycles, encore et encore. Mais un seul et même schéma, à quelques détails près. Inlassable ouroboros, toujours affamé de lui-même. Les mêmes aventures, mille fois. Mais sur un autre coin du Pays Imaginaire. Avec d'autres enfants perdus. Avec d'autres adversaires : bêtes sauvages, indiens, pirates… Un semblant d'infini dans les possibilités. Un bonheur factice, cage dorée. Une illusion réconfortante pour ne pas avoir à penser à ce qui est désagréable. Comment faire autrement quand on est l'unique entité à rester fidèle à elle-même ? Car même le Pays Imaginaire est un espace en changement constant, en mouvement continuel. Il se métamorphose selon les rêves des enfants et ne s'anime en réalité que lorsque Peter est présent physiquement : il est d'une ironie cruelle que ce soit cet enfant figé qui transforme le monde. le temps y est ainsi une notion abstraite aux mesures floues, faute de pouvoir laisser des traces dans le monde et dans les esprits. Grains de sables sur les plages de cette île perdue que la mer sans cesse vient bouleverser. Kairos règne ; il est un présent sans fin, constellés d'opportunités à saisir. Figé à sa manière, insaisissable, absurde. Renouvelé à chaque fois, nuages paresseux dans le ciel : semblables, mais jamais identiques.

L'amnésie est le salut de Peter. Sa sauvegarde et sa malédiction. le fardeau qui lui permet de voler. Une fuite en avant, ou plutôt une fuite en arrière. Une nécessité. Il ne faut rien, pour ne pas encourir le réveil d'émotions trop puissantes, de sentiments qu'il ne saurait affronter – la nostalgie des choses aimées et perdues, le regret de ce qui aurait pu être et que l'on n'a pas connu, la douleur des abandons inéluctables. Oublier sa mère qui ne pouvait plus l'attendre à côté de son berceau vide. Oublier les enfants qui le trahissent et qui grandissent. Oublier que les gens qu'il aime partent sans se retourner. Oublier, oui, combien il a mal.
L'omission, pour rester centré sur lui-même, seul axe fixe qu'il connaisse, permanence dont il est la cause et la conséquence tout à la fois. le vide, pour ne pas dépendre des autres pour se développer, et donc ne pas se développer, rester toujours au même point. L'absence, pour déclarer son existence autosuffisante, en ayant pourtant soif de reconnaissance et d'admiration.

L'histoire, en somme, est assez simple. C'est pour cette raison qu'elle est apte à toucher de la façon la plus bouleversante qui soit, flèche décochée sous le mauvais conseil d'une fée qui ne manque pas d'atteindre sa cible. Parce que, par un de ses fragments ou un autre, c'est un peu notre histoire qu'une bouche étrangère conte. L'histoire des désirs fous qui nous hantent.
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