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Critique de Shaynning


"Cora, la légende du lac aux mille visages" se présentait bien au début, mais la suite m'a quelque peu découragé, d'abord pour être manichéen ( tout blanc tout noir) ensuite pour être stéréotypé. Ce petit roman Intermédiaire se déroulant au Mexique présente des similarités qui me rappellent le conte de Pierre "Darmancour" Perrault, les Fées, et le reste m'évoque une sempiternelle rengaine de princesses Disney. Je compte étayer mon point alors si vous ne voulez aucuns détails, je vous invite à lire le dernier paragraphe.


Corazone ( "coeur" en espagnol) n'était qu'une enfant quand un soir d'orage, elle et sa famille sont les victimes d'une bande de bandits. En voulant leur échapper, la charrette perd une roue, envoyant la petite famille valdinguer hors de la route. Loxo Sceles, dit "L'araignée" assassine ses parents, qui n'avait aucuns objets de valeur à offrir, et la survie des petites filles est due au plus jeune membre du groupe, Pablo, qui les avait trouvé sous la grosse malle sans les dénoncer. de cet épisode sombre, Corazone n'en garde pas qu'un vide, mais également des marques. Son visage, qui s'est prit la grosse malle en pleine tête, la laisse dévisagée. Néanmoins, elle a couvert de son corps celui de sa petite soeur, qui en sort indemne. Bien des années plus tard, Cora travaille dur dans les champs d'un homme cupide, stigmatisée par son visage et même abusée par sa soeur, qui la traite en domestique. Belleza a grandi en beauté, mais est foncièrement méchante, feignasse et ingrate. Lors d'une soirée, elle est même de mèche avec deux hommes pour l'humilier lors d'un pari. Cora s'enfuit du village, le coeur brisé, et trouve refuge dans les montagnes. C'est là qu'elle fera la connaissance d'une dame aveugle, prête à l'embaucher pour entretenir la grotte qui lui sert de résidence et lui faire ses repas. Seule une consigne prévaut: ne jamais tenter d'ouvrir la mystérieuse porte ronde, la Porte du Destin.


Je viens de réaliser que ce n'est pas seulement le conte des Fées qui m'est ici familier, mais également celui de Barbe Bleue, en quelque sorte. Pour le premier, il s'agit de l'histoire d'une marâtre ( évidement) qui a deux filles. La première, honnête, va au puits et une vieille femme en haillons lui quémande de l'eau. La jeune fille accepte de bon coeur. La seconde, malhonnête, va au même puits et c'est une dame de la haute au beau visage qui lui fait la même requête. Elle se montre désagréable et lui jette l'eau à ses pieds. La première fille reçoit en cadeau pour sa bonté le pouvoir qu'à chaque mot prononcé sorte de sa bouche des diamants et des pièces d'or, tandis que la seconde aura le même pouvoir, mais avec des serpents et des crapauds. Évidement, devant tel don, le prince du royaume épouse la première fille. Fin.


Là, vous vous demandez où est le lien. Je vous explique. Il faut aller un peu plus loin dans l'histoire pour comprendre. Corazon vit un an dans la grotte avec l'abuelita ( la grand-mère), et travaille dur sans se plaindre. Elle ne va jamais tenter d'ouvrir la porte interdite ( Contrairement à la fille dans Barbe Bleue). En récompense de son travail et de sa parole tenue, elle reçoit un nouveau visage grâce à ce qui se trouve derrière la Porte du destin. Un puits rempli de visages. Elle reçoit le visage qui, n'eut été de son geste protecteur envers sa soeur, aurait été le sien. En plus, elle reçoit beaucoup d'argent, à la hauteur du labeur fourni. Quelques péripéties plus loin, après avoir été secourue par sa soeur, Belleza est très jalouse de celle-ci, devenue belle, riche et même convoitée par le plus beau gars du village ( évidement). Elle utilise un sérum de vérité pour faire parler sa soeur, qui devait ne jamais parler de ce qu'elle a vécu sous la montagne. Mais voilà, elle le fait. Ni un ni deux , la soeur jalouse retrouve l'abuelita, en connaissant les récompenses promises. Hélas, Belleza est vite lassée de faire le ménage, elle fait semblant de travailler, poussant la poussière dans les coins. Elle est aveugle après tout cette vieille bique! Elle ne remarquera rien. Quand le "un an" ( en réalité deux mois) sont passées, la grand-mère offre un coffret, supposé dont "le contenu sera à la hauteur de la tâche accomplie". Mais sans même y jeter un oeil, la vile soeur veut plus: elle veut voir la salle au puits. À force de cajoleries, elle se fait effectivement amener dans la salle, mais ce qu'elle est convaincue d'y trouver est tout le contraire. Elle gagne le visage qu'elle aurait eu si sa soeur ne l'avait pas protégée. Quand au coffret, il contenait crasse, poussières et toiles d'araignée. le salaire justement mérité.


Tout comme dans le conte des Fées, la pure, travaillante et gentille soeur est récompensée de richesse, de beauté et même d'amour, alors que la peste de service, vilaine à l'intérieur à tous niveaux et paresseuse, récolte pauvreté, exil et laideur. Je ne peux pas dire que j'apprécie cette rengaine manichéenne. D'abord, parce que des gens comme Cora, ça peut aussi bien se faire qualifier de naïfs, de stupides et de crédules. Grand bien lui fasse d'être empathique et sensible, je ne prétend pas le contraire, mais se faire abuser de la sorte, alors que sa soeur se "pogne le beigne" à la maison, rouspète sur tout, se complet dans sa vanité et va même jusqu'à rire du malheur de son unique et sororale bienfaitrice, quand même! Cora est carrément stupide. Bien sur, elle nous fait un complexe d'infériorité qui la cloue au bas de l'échelle sociale, ça je veux bien le comprendre, mais la suite de l'histoire n'en fait pas un modèle d'intelligence, loin de là. Bref, vanter le travail et l'honnêteté, admettons, mais le faire au détriment de toute logique et de tout discernement, c'est promouvoir la docilité auto-destructrice, et ça je n'approuve pas. D'ailleurs, je n'ai jamais vu ce message promu auprès des garçons, c'est très typiquement destinée aux filles, avec des personnages féminins.


La partie qui traite de la grotte et sa mystérieuse fontaine m'a plût, c'est une idée très intéressante que ce jeu des visages. D'ailleurs, l'abuelita est en réalité le Nahual, entité à double face mythologique d'Amérique du Sud. En toute honnêteté, c'était là qu'il aurait été intéressant de travailler plus.


Car le reste est très convenu, selon moi. Évidement, Cora ne pouvait pas être une fille standard, non, elle est "la plus belle de toutes". Cet espèce d'absolue fixation sur ce concept me rend dingue, tant il est omniprésent dans la Culture. Et le fait de l'associer à la richesse et l'amour est perturbant, comme si pour avoir l'un, il fallait avoir les deux autres. Comme dans les contes des princesses remaniés à la sauce Disney, on a des exemples équivoques. Elles gagnent toujours l'homme de pouvoir le plus beau, le plus riche et le plus puissant. Elles sont infiniment plus belles que les autres, d'une gentillesse confondante et d'une patience infinie.Comme Cora, sauf pour la richesse. Et tout comme elle, des gens en abusent. Prétendre qu'être indécrottablement "bonne" ( notez les guillemets) va se tourner en conte de fée est risible et envoie de mauvais messages aux filles, comme aux garçons.


La valeur d'une personne ne se mesure pas à son physique, c'est ce qui devrait être d'ailleurs la morale du passage dans la grotte. Malheureusement, on tourne l'histoire aux vieux préceptes enseignés aux filles: pour être estimées et méritoires, il fait d'abord et avant tout être belle. L'inverse est aussi vrai. Ce qui est également perturbant est le niveau de cruauté des personnages envers Cora, qui est à peine défigurée. on parle d'un nez plus ou moins droit, trois dents manquantes et une arcade sourcilière informe, pas de quoi devenir dingue! Ce qui m'amène à me dire que finalement, si c'est seulement le côté gauche qui en a prit un coup, le côté droit devrait être très joli...parce qu'elle l'est, non? Enfin, bref, malheureusement, il est vrai qu'on pardonne mal aux femmes d'être moches, parce qu'on ne leur pardonne pas plus d'être "ordinaires". Était-ce nécessaire de le rappeler dans un roman jeunesse?


Il y a enfin la partie où Cora retourne à son village. Elle découvre que le tueur de ses parents a asservi le village à ses caprices. Un des sbires de l'araignée la capture ( quoi, déjà?), l'amène voir son patron et elle devient aussitôt (évidement) la prospecte numéro 1 de ce gros bandit. Plus belle que les 57 filles qu'il a séquestrées au sous-sol. Une "reine", pour reprendre ses mots. Mais cette petite dinde va trouver logique d'essayer de le poignarder et au moment où elle aurait pu le faire, lance une réplique typique des mauvais western américains avant de réaliser qu'elle ne peut pas le tuer. Et bien sur, c'est là que va apparaitre le prince chamr..heu! je veux dire son beau sauveur, qui va devoir gagner un duel pour la sauver. Vous vous souvenez que j'ai évoqué un jeune membre qui n'a pas dénoncé les filles lors de l'attaque? Pablo? Et ben le revoilà et je ne vous surprendrai pas en disant qu'il est super beau et qu'il a des yeux bleus ( en dépit du fait que les latinos et les autochtones sud américains sont majoritairement aux yeux noirs et marrons). Peste soit des beaux gosses aux yeux bleus, on y échappe pratiquement pas! Sur ce commentaire peu pertinent, je poursuis en expliquant que ce beau bonhomme s'est évidement éprit de la belle demoiselle et l'a sauvée. Prévisible. Décourageant. Et je constate qu'encore une fois, le personnage féminin a besoin d'un mâle pour la sauver, car elle est trop faible et stupide pour s'en sortit elle-même.


Je note en outre que l'antagoniste est aussi une raclure de première, comme le sont les vilains les plus clichés. Cruel, sadique, opportuniste, mégalomane, sur de lui, narcissique, il a au moins un élément relativement original avec son souci marqué pour sa chevelure. Oh, coquet, hein? On nous a même fait le coup du "mon enfance a été truffé de crimes contre les animaux avant de passer aux humains", le seul trait que tout le monde semble connaitre du "psychopathe 101", histoire de nous faire savoir que c'est un être irrécupérable. Tout noir, donc.


Et comme un malheur ne vient pas seul, on tente de nous faire croire que Belleza, après une année de captivité dans un sous-sol est restée la belle petite conne égoïste et mesquine qui, en retrouvant sa soeur, ne trouve rien de mieux que d'être ultra jalouse. Non, là, pardon, ça ne prend pas avec moi. La séquestration et la privation des besoins de base sont des traumatismes, je n'adhère pas du tout à cette fille restée détestable après avoir subit les deux. Déjà, j'avais du mal a y adhérer au début, avec sa soeur qui l'a protégée sa vie durant, qui fait tout pour elle et qui est son seul proche encore en vie. Je n'adhère pas aux extrêmes, et Cora, tout comme Belleza, et même "L'araignée" et "Pablo, sont des extrêmes irréalistes. Des "tout blanc tout noir",qui ne montrent ni les nuances, ni la complexité des rapports humains. Non, ce que ça crée, ce sont des "gentils méritants" et des "vilains châtiés". Mais Cora "méritait" de se faire remettre les idées en place pour pouvoir aller de l'avant, tout comme Belleza à été "châtiée" d'avoir été rusée à de mauvaises fins. La bêtise gentille récompensée, l'intelligence égoïste condamnée. Je sais, je suis cynique. Ce n'est pas le propre de ce roman seulement, c'est le propre de toutes les histoires qui glorifient des qualités qui sont aussi des défauts et qui condamnent des défauts qui sont aussi des qualités. Si l'histoire avait été nuancée, on aurait peut-être pas ce problème. J'extrapole trop, oui, mais c'est le propre des critiques d'extrapoler.


Un autre élément qui me semble singulier est cette façon de faire dépendre la cadette de l'aînée. Je conçois que dans certaines cultures, la plupart en fait, le premier né prend soin des autres membres de la fratrie. Mais ici, je trouve que nous sommes dans un cas extrême. En psychologie relationnelle, il est souvent évoqué que dans une saine relation, les besoins de la personne aimée ne devrait PAS être remplis au détriment de la personne qui aime. Cela vaut autant pour les relations amoureuses que sororales. Cora passe TOUS ses besoins après ceux de Bella, cette fille profondément ingrate qui est sa cadette. Et j'aurais cru qu'à la fin, après avoir souffert de ses viles combines et de son incapacité à éprouver de l'empathie, elle aurait peut-être évolué. Mais non, n'oubliez pas, c'est une princesse Disney, elle pardonne tout, elle est la bonté incarnée, c'est une fille rare de chez rare: canonisez-la quelqu'un! Alors bien sur, elle a pardonné à sa soeur et bien sur elle l'a acceptée dans sa maison, son nid familial. le problème n'est pas le fait de pardonner: le pardon peut être le stade ultime d'un processus de guérison d'un évènement traumatique ou d'une relation conflictuelle, mais était-ce nécessaire d'en faire autant et si vite? Arf! Ces soeurs me décourage. Tant pis pour la beauté des relations entre soeurs.


Donc, pour résumer, si j'ai apprécié l'épisode de la grotte, qui m'a fait connaitre une petite part de la culture mexicaine, le reste m'a semblé cliché, stéréotypé et désuet. C'est le genre d'histoire qui, comme certains contes oraux devenus contes écrits, envoient des messages pas très pertinents. Ç'aurait peut être été plus évident de traiter de l'importance de l'honnêteté sans tout ce bazar de "beauté suprême" et de jalousie maladive. le volet "gros bandit" contre "Prince Charmant" est vraiment de trop. La rigueur psychologique est assez basse. La représentation des femmes est elle aussi désuète. La plume est bonne, néanmoins, mais les deux-trois répliques sorties des western n'étaient pas nécessaires. Je dois dire que je me demande si l'auteur a voulu rejoindre le conte de Pierre Perreault, ce qui expliquerait l'étrange dichotomie entre les personnages.


Pour un lectorat du troisième cycle primaire, 10-12 ans.
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