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Critique de DETHYREPatricia


Livre lu dans le cadre du défi Lectures 2022 des Editions du Seuil, item : "Livre conseillé par votre libraire".

Il faut dire que j'habite dans le Morbihan (56), pas très loin de Belle-Ile-en-Mer que je connais bien et qui, jeunette en tant de "colon" (colonie de vacances sur Quiberon), ou adulte en tant que touriste ébahie, m'a fait longtemps rêver. A cette époque, je méconnaissais totalement l'histoire de sa colonie pénitentiaire et je crois que c'est une émission de télévision qui m'a éclairée, il y a quelques années, sur le sujet.

Ce livre - qui n'est pas un roman mais bien un document historique particulièrement bien documenté par l'auteur - ne pouvait donc que m'intéresser dès lors qu'il a l'ambition de nous faire partager une histoire commune, à savoir, la façon dont la société française entre 1880 et 1977 s'est occupée de "rééduquer" ses jeunes parias et autres vagabonds livrés à eux-mêmes, et la façon dont, bon an, mal an, elle a cheminé progressivement vers une autre prise en charge des délinquants via notamment, à terme, la création du métier de juge pour enfants, puis du métier d'éducateur spécialisé. Il a aussi le mérite de restituer le vécu et la parole de certains de ces enfants et jeunes internés de force, bien souvent sans réel motif, ce qui est, avec le recul, complètement édifiant.

Mais avant d'en arriver là, que de errements ! Ce livre très précis, très détaillé dans les faits qu'il relate, mais aussi dans les contextes politiques, judiciaires, sanitaires, éducatifs des époques qu'il traverse est, pour le lecteur, très dérangeant, voir glaçant par certains côtés. le traitement infligé à des enfants (parfois très jeunes) est me semble-t-il inhumain, cruel, sans réel fondement éducatif et on le voit à longueur de pages, totalement contre-productif dès lors qu'il transforme, pour une grande part, des enfants et des jeunes complètement déboussolés et en manque de repères affectifs et sociétaux en jeunes loups déterminés à tout faire pour survivre dans cet enfer ou pour s'en libérer, y compris au péril de leurs jeunes vies.

Certes, parmi la masse des internés, il y en avait qui nécessitaient d'être rééduqués, redressés, voire punis pour les actes répréhensibles qu'ils avaient commis... Et ce n'était que justice. Mais, pour quelques brebis galeuses identifiables, pourquoi soumettre toute la population de la colonie pénitentiaire au même régime ?

J'ai été aussi interpellée par cette notion bizarre du "discernement" qui permet d'incarcérer pendant plusieurs années des enfants et des jeunes pourtant jugés "non coupables dès lors qu'ils sont sans discernement". On pourrait croire que cela se rapproche de la notion actuelle de "non pénalement responsables car malades psychiatriques", mais on voit que, dans les faits, il ne s'agit pas du tout de cela. Pour moi, c'est une réelle aberration et on se demande comment la société (et en premier lieu les parents) ont laissé faire ça !

Pour ma part, j'ai été horrifiée par les agissements du principal directeur de cette colonie, seigneur et maître tout-puissant sur son îlot, servant avant tout ses intérêts personnels et politiques, et abusant - sans aucune limite ni contrôle - de sa position pour soumettre les jeunes à des brimades, à des punitions, à un isolement mortifère, à des privations (de nourriture ou de soins)... pouvant aller jusqu'à la mort... Sans que personne n'y trouve à redire !

Et c'est peut-être là le pire ! Car, on le verra à plusieurs reprises dans les documents présentés par l'auteur, ce n'est pas faute d'avoir alerté les autorités, les politiques, les intellectuels, la population... Beaucoup savaient ce qu'il se passait à Belle-Ile-en-Mer, mais beaucoup ont détourné la tête car cela les arrangeait. On avait écarté les mauvaises graines de son environnement, on était enfin tranquilles. Ni vu, ni connu.

Certes, les choses ont changé à ce jour et c'est tout à l'honneur des intellectuels, des hommes et femmes politiques de ce pays, des professionnels de santé, de l'éducation, du monde judiciaire, des responsables associatifs... qui se sont mobilisés pour que dignité soit rendue aux enfants et jeunes concernés. En cela, ce livre apporte un éclairage utile sur les erreurs à ne plus commettre en matière de prise en charge dès lors que L Histoire et l'expérience ont montré qu'à la violence et à l'humiliation répond toujours plus de violence et encore plus de ressenti de rejet, de colère et d'humiliation, ressenti qui constitue, à n'en pas douter, un terreau pernicieux pour tout jeune aspirant à être reconnu avant tout en tant qu'être humain.

Au fil de ma lecture, je n'ai pu m'empêcher de faire le parallèle avec la politique de l'autruche qui sévit encore aujourd'hui sur certaines sujets : l'inceste, la pédophilie, la violence faite aux femmes et les féminicides, l'absence de prise en charge ou la mauvaise prise en charge des personnes avec troubles psychiatriques ou encore, la prise en charge des jeunes migrants débarqués sur nos côtes. Quand on voit le temps mis à changer un tant soit peu les choses sur cette question de la prise en charge des jeunes en rupture, on peut se demander quand ces autres sujets pourront voir une prise en compte plus favorable !

Sur la forme, le style est très factuel, sans fioriture. Ne s'agissant pas d'un roman, il faut savoir que ce livre contient beaucoup de dates, de noms, de noms de lieux, d'abréviations, de citations, de statistiques, d'illustrations, de notes de bas de pages. C'est bien ce qui fait sa valeur historique, mais en tant que lecteur, cela peut gêner et être jugé comme rébarbatif. J'ai bien aimé aussi l'éclairage général apporté par l'auteur au sujet (contexte historique, sociétal, politique...) et le fait de ne pas être centré sur la seule colonie pénitentiaire de Belle-Ile-en-Mer. le cas des autres structures existantes est succinctement évoqué, ce qui permet soit de comparer les fonctionnements, soit de comprendre le maillage disponible en France sur les différentes époques évoquées.

Je recommande donc cette lecture à tout jeune professionnel aspirant au métier de juge pour enfant, d'éducateur spécialisé, ou de surveillant pénitentiaire. Connaître le passé permet d'éclairer l'avenir. Mais je le recommande aussi à tout citoyen français désireux de connaître un peu mieux l'histoire de son pays.
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