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14 décembre 2020
Sans pouvoir mais avec une capacité de contraindre ceux qui en ont

Dans son avant-propos, Une expérience lyonnaise, Marielle Benchehboune aborde l'externalisation par les entreprises de certaines activités dont le nettoyage, les emplois féminisés et à majorité à temps partiel dans ce secteur, le paiement à la tâche, le travail non déclaré et donc non rémunéré, le non respect du code du travail, la répression anti-syndicale…

Elle parle de quelques luttes remarquables dans le nettoyage, en particulier dans l'hôtellerie, de la place de l'assistance juridique aux salariées, « Mais l'assistance juridique tend indéniablement à réduire la part consacrée à l'activité revendicative et individualise ainsi le conflit social en créant une relation de service dans laquelle l'adhérente délègue l'action syndicale à des professionnels »…

L'autrice explique la rencontre entre deux organisations, la Confédération nationale des travailleurs-Solidarité ouvrière (CNT-SO) et le ReAct (« L'association utilise les méthodes de mobilisation et d'organisation collective issues du community organizing, de l'éducation populaire et de la non-violence afin de développer le pouvoir des premières personnes concernées », la décision d'appuyer le développement d'un Syndicat du nettoyage dans l'agglomération lyonnaise, le choix d'« expérimenter d'autres manières de faire et de penser l'action syndicale pour organiser les travailleuses du secteur du nettoyage, inspirées des expériences anglo-saxonnes (Living Wage Campaign à Londres ou Justice for janitors en Californie) qui ont bouleversé le monde syndical en le forçant à s'intéresser à ces travailleuses laissées pour compte ». Elle présente le « métier » d'organisateur/organisatrice syndical·e, le temps des rencontres avec « chaque salariée en tête à tête », le montage de comité d'organisation, « La méthodologie d'organisation demande une vraie rigueur. Bien sûr, au-delà de la méthode, il y a aussi une posture, qui vise à ne jamais faire à la place de quelqu'un ce qu'elle peut faire par elle-même. Cette règle d'or ne quitte jamais l'organisateur·trice »…

Marielle Benchehboune indique que : « Entre septembre 2016 et octobre 2017, le ReAct a expérimenté la mise en application de ces méthodes issues de l'union organizing dans le secteur du nettoyage de l'agglomération lyonnaise, en partenariat avec la CNT-SO », aborde le décloisonnement du syndicalisme par la mobilisation d'allié·es, des victoires obtenues…

« Mêlant subjectivité de l'organisatrice (ses émotions, ses écrits à chaud datant de 2016-2017), analyse militante de son travail, témoignages de salariées et éléments de cadrage du secteur, il s'agit ici de relater quelques épisodes de cette expérimentation afin d'imaginer le champ des possibles qu'offre cette forme de pratique syndicale. »

I. le 8 mars victorieux pour les femmes de chambre

Marielle Benchehboune souligne, entre autres, la persistance du travail à la tâche en ce début du XXIème siècle, les heures supplémentaires non payées, la pratique de l'abattement forfaitaire sur les cotisations sociales, les problèmes de classification, le cumul des temps partiels, les revendications des femmes de chambre, « le paiement à l'heure pour remplacer le salaire à la chambre, anachronisme au 21e siècle. le treizième mois comme un rêve irréalisable. Les deux jours de repos hebdomadaires comme une fiction »,

Elle explique son activité et les difficultés rencontrées, le grenouillage, « le grenouillage consiste à aller de lieu de travail en lieu de travail, chaque jour, chaque matin, à la recherche des personnes qui travaillent », l'isolement des salariées, la vulnérabilité aggravée par l'« isolement linguistique », les rencontres avec les femmes, la question des revendications gagnables, la place de l'organisation syndicale, la transformation de la colère en force, « Transformer les émotions, les ressentis de chacune c'est transformer le sens dans lequel nous allons », la transformation des colères individuelles en revendications collectives, le ne jamais faire à la place des salariées, « Forcément ça implique de ne pas faire à la place des gens, mais plutôt de transmettre les outils et les moyens de mener la lutte. C'est ça le rôle de l'organisatrice : transmettre les techniques, donner des conseils stratégiques pour que les gens se les approprient », la parole libératrice, le dire de ce qui est insupportable, les lieux d'expressions des maux, le travail de syndicalisation, la double responsabilité du sous-traitant et du donneur d'ordre…

Une juste description d'un mouvement social, d'une lutte, de l'élaboration de revendications, de la construction d'un rapport de force, de négocations, du travail quotidien d'organisation.

II. Quand la répression l'emporte sur l'organisation

Marielle Benchehboune discute de licenciement pour syndicalisme, du turn-over, des stratégies patronales d'intimidation, « l'énergie que met l'employeur dans cette forme de répression de l'organisation syndicale », du vol de salaires, des liens à tisser entre salariées, de stratégie « de campagne pour les droits des femmes de chambre ou la fin de la sous-traitance hôtelière »…

III. « Shit-in » et main d'oeuvre gratuite au centre commercial

La sous-traitance du nettoyage et ses conséquences pour les salariées ne sont pas limitées au secteur hôtelier. L'autrice aborde l'organisation d'un centre commercial, les contrats à durée déterminée sans signature de contrat, les périodes de travail, la nécessité d'avoir des allié es (les syndicats de site) dans le centre commercial, une action « Toilettes bloquées pour cause de surcharge de travail », l'importance de victoire « si petite soit-elle », l'action collective émancipatrice, le mépris et les procédés de négociation du coté patronal, la place des médias, la communauté de travail à reconstruire…

Les mêmes causes engendrent les mêmes effets, dans les hôtels, les centres commerciaux ou les cliniques.Le dernier chapitre est consacré à une Clinique sous tension.

Les activités patronales de division et d'éparpillement des salarié·es, de répression ou de corruption active envers les syndicalistes, de non respect des droits des salarié·es – et plus généralement la soumission des droits des citoyen·nes au travail au droit de propriété des actionnaires, le monopole arbitraire des embauches, etc. doivent être constamment rappelés. Les syndicalistes et les patrons ne sont pas des partenaires sociaux., « on ne peut rien construire en niant les intérêts contradictoires ». Et si des organisations syndicales semblent bien l'avoir oublié, ce n'est pas le cas du patronat…

J'ai particulièrement été intéressé par la postface, Notes pour accompagner la réception de l'organizing en France, de Karel Yon. L'auteur aborde, entre autres, la conviction que « le syndicalisme est l'affaire des travailleurs eux-mêmes », la formalisation des méthodes de travail comme possibilité d'enrayer « les logiques de reproduction des inégalités sociales et politiques », la question de la représentation des travailleurs et des travailleuses précaires et invisibles, les méthodes du community organizing, la communauté comme « socle de solidarités élémentaires sur lesquelles peuvent se construire des solidarités plus larges », la doctrine de « ne pas faire à la place des intéressées ce qu'elles pourraient faire par elles-mêmes », l'approche de la négociation collective…

Il nous rappelle que « le syndicalisme d'action directe » remonte aux origines du mouvement ouvrier moderne et fournit des exemples historiques en particulier aux USA et en France (il discute des pratiques de la CFDT et de leurs limites), « le témoignage de Marielle montre qu'il est possible d'envisager autrement la syndicalisation en l'articulant à la pratique militante du syndicalisme d'action directe ». L'auteur insiste sur les effets de la division sexuelle du travail militant, et « l'ombre des récits conjugués au masculin » des activités et organisations militantes…

Une remarque pour finir. Il ne faudrait pas croire que les éléments développés dans le livre et la postface ne concernent pas que les secteurs fragmentés ou éparpillés des travailleurs et des travailleuses. Dans les moyennes et grandes entreprises, les liens quotidiens entre organisations syndicales et salarié·es sont souvent très distendus voire rompus. le travail institutionnel des représentant·es du personnel et des délégué·es syndicaux absorbent et leur temps et leur énergie. La relation aux salarié·es et la syndicalisation comme moyen d'auto-organisation des travailleurs et travailleuses, la reconstruction d'une communauté de travail, n'est plus leur priorité. Par ailleurs, les activités des organisations syndicales ne sont plus principalement financées par les cotisations des adhérent·es, ce qui en soi pose le problème de leur indépendance vis à vis de l'Etat et du patronat. Les choix de négociation, sans construction de rapport de force, participe du déni des différences d'intérêts irréductibles entre employeurs et salarié·es. Rien n'est pourtant possible sans l'expression de la force collective de salarié·es. Ce qui implique l'auto-organisation des mobilisations et la construction pérenne d'organisation des salarié·es (syndicats) dans des structurations adéquates à la représentation de toustes. Je n'oublie ni l'unité syndicale, ni la nécessaire prise en charge de tous les combats des salarié·es. Reste aussi une autre histoire du syndicalisme, celle des bourses du travail qu'il ne faudrait plus négliger…
Lien : https://entreleslignesentrel..
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