AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de domi_troizarsouilles


Après avoir lu « Les maîtres enlumineurs » il y a quelque temps (terminé en novembre 2022), je me suis lancée dans ce nouveau tome, d'une autre série cela dit, de cet auteur dont j'ai un souvenir assez positif – même si, hélas, je n'avais rien noté de ma première lecture, et ne peux donc plus me baser sur rien d'autre que les bribes que ma mémoire veut bien laisser, en très flou… C'est une fois encore Lirtuel qui m'a inspiré cette nouvelle lecture, à son catalogue des nouveautés. Car il y a un détail qui fait peut-être la différence : cette « Cité des marches », parue tout récemment en traduction française, a en fait été écrite en vo il y a déjà 10 ans semble-t-il, alors que « Les maîtres enlumineurs », écrits plus tard (en 2018), ont été traduits dès 2021.

Indépendamment de ces traductions aléatoires, l'auteur aurait-il mûri durant ces quatre années entre les deux livres ? Aurait-il étoffé son univers fantasy, cherché/trouvé d'autres sources d'inspiration ou, tout simplement, amélioré sa façon de manier la plume ? C'est que, de mémoire, « Les maîtres enlumineurs » étaient quand même marqués par un univers assez particulier, très original, mais aussi complètement maîtrisé, alors que, ici…
J'ai ressenti cette « Cité des marches » comme un de ces livres de fantasy extrêmement politiques, où les relations diplomatiques et publiques entre deux peuples, à travers quelques personnages-clés, sont exploitées jusqu'à l'indigestion. Malheureusement, c'est l'aspect qui me plaît le moins dans les ouvrages de fantasy ; je sais que c'est indispensable pour bien poser le décor, mais là, c'est le prétexte au décor, à l'action, à la moindre réflexion, etc. Trop, c'est trop !

Pire : après quelques paragraphes seulement – ou, soyons plus larges : quelques chapitres, le temps de bien asseoir les choses -, le tout appuyé par le synopsis proposé par l'éditeur, j'ai eu l'impression de me trouver dans une version à peine imaginaire… du conflit israélo-palestinien!? Eh oui, rien que ça ! Et autant dire que ça m'a trotté dans la tête presque jusqu'à la fin du livre, ce qui n'a cessé par ailleurs de creuser un certain malaise.
Faut-il expliciter ? Bulikov, « autrefois puissante cité divine capable de conquérir et d'asservir les peuples établis à sa proximité », cité centrale du Continent (jamais nommée capitale mais elle en joue clairement le rôle), est aussi le nid d'un groupe influent et puissant – car, là aussi, on trouve une figure politique majeure - d'extrémistes de type clairement religieux. Voilà pour la Palestine.
Je vous entends me dire : mais la Palestine n'a jamais conquis une quelconque autre cité ! Certes… mais il suffit d'aller un peu plus au sud-ouest et paf on tombe sur le grand frère égyptien, autrefois puissant empire de droit divin, qui a même maintenu les Juifs de la Bible en esclavage (relisez l'histoire de Moïse, il en existe des tas et des tas de déclinaisons si vous ne voulez pas vous attaquer à l'Ancien Testament). Et c'est là qu'apparaît dans mon esprit l'actuel Israël : Saypur pour l'auteur, un Empire autrefois soumis à ces fameux Continentaux, mais qui à la suite d'un revers de situation majeur se sont retrouvés les maîtres ; ils écrasent à leur tour le Continent de leur joug, les empêchant de se développer d'une quelconque façon (que ce soit le commerce, l'éducation, ou quoi que ce soit), et ayant perdu les dieux, s'ils en ont jamais eu…
Le tout ressemble désormais à une poudrière, où va se jouer l'essentiel du roman avec une tension constante, probablement maîtrisée, sauf que moi, comme dit plus haut, elle n'a cessé de me gêner bien davantage qu'elle ne m'aurait emballée comme aurait pu le faire un page-turner – ma lecture a même été souvent assez pénible !

Bon, inutile de dire que tout ce qui précède ci-dessus est une interprétation strictement personnelle. Si je la partage ici, c'est uniquement parce qu'elle m'est venue à l'esprit tout à fait spontanément, sans calcul, sans réflexion politique préalable ; c'est comme si ça m'avait tout à coup sauté aux yeux, et ensuite je n'ai plus pu m'en défaire, c'était foutu…
Alors, bien sûr, je ne dis pas non plus que l'auteur aurait voulu coller à l'actualité soulevée ci-dessus ; je ne suis même pas certaine qu'il ait eu conscience d'en être si proche, d'une certaine façon – en tout cas suffisamment pour que ça l'évoque dans l'esprit d'au moins une lectrice, ah ah ! Par ailleurs, tout un tas d'éléments plus ou moins importants de ce livre n'ont strictement rien à voir avec la situation au Moyen-Orient, et relèvent purement de l'univers imaginaire de l'auteur. Et on peut dire que, de façon générale, son univers est cohérent de bout en bout, souvent un peu mystérieux mais tout s'explique peu à prou au fil de l'avancée de l'histoire.

Ajoutons à ça que, clairement, rien n'est jamais ni tout blanc, ni tout noir: il y a eu des exactions et autres horreurs des deux côtés, les Saypuriens ont souffert quand ils étaient dominés et en frémissent encore, tout comme Bulikov souffre dans le présent de ce livre alors que la cité est sous domination saypurienne; souffre et se révolte, par des voies pas toujours acceptables. Une version imaginaire des attentats, il fallait y penser! Quoi qu'il en soit, cette absence de manichéisme, alors que ça aurait été si facile de tomber dans un tel piège, doit quand même être soulignée (comme un gros point fort, évidemment!).

J'aurais peut-être pu me contenter de ça, moi qui y suis sensible, sauf que mon déplaisir a été alimenté par un autre aspect de ce livre : à part Sigrud, aucun personnage ne m'a paru vraiment attachant; ni sympathique, ni carrément antipathique, mais jamais réellement touchant, de quelque façon que ce soit. Vohannes Votrov, le personnage principal pour Bulikov, a certes un côté charmant et fragile à la fois, qui aurait pu le rendre attendrissant, mais son côté éternellement évanescent le rend trop insaisissable pour capter vraiment l'attention du lecteur. Quant à Shara, la personnage principale pour Saypur, toute jeune espionne qui est allée jusque-là de succès en succès, elle m'a semblé du début à la fin imbuvable, agaçante : pétrie de ses convictions saypuriennes sans aucune réflexion (même si ça vient par bribes, petit à petit), capricieuse dans l'exercice de ses fonctions, gamine énamourée mais froide en apparence face à Vohannes, petite fille perdue mais qui veut jouer l'adulte accomplie et responsable face à sa tante, etc. Tout pour déplaire ! Elle agit, elle réfléchit parfois, mais elle manque cruellement de cette épaisseur qui fait un vrai personnage.
Suis-je trop dure ? Peut-être… Mais, à nouveau, ce commentaire n'est que le rendu d'un ressenti, et clairement : si j'avais rencontré une personnage telle que Shara dans la vraie vie, elle ne serait en aucun cas devenue une amie !
Il n'y a que Sigrud qui présente un vague intérêt. Son histoire passée est plus intéressante et touchante que celles de Vohannes et de Shara réunis ; sa façon d'être au quotidien, ce détachement dévoué (à Shara… personne n'est parfait !), de même que son apparence qui le rendent particulier, tout cela en fait un personnage bien plus intéressant que tous les autres, malheureusement assez peu exploité quand on y pense. Il devient tout à coup personnage principal dans une longue scène du livre, accomplissant un exploit que Shara va s'attribuer (sans que personne ne semble se poser la moindre question à ce sujet) ; une longue scène qui apparaît presque comme une mini-nouvelle dans le roman, et semble ainsi prouver ce que je me suis répété à plusieurs reprises : ce Sigrud aurait mérité un roman à lui seul, avec lui en vedette. Mais je ne vais pas en dire davantage, car je suis déjà à la limite de divulgâcher, penseront peut-être certains…

Bref, je reste très mitigée quant à cette lecture. Je salue certes la fluidité de l'écriture, et le décor posé de façon cohérente de bout en bout. Mais je n'ai décidément pas accroché à l'écrasante importance du jeu politique dans cette intrigue, qui en plus m'a fait follement penser au conflit israélo-palestinien. Par ailleurs, les protagonistes n'ont pas réussi à me convaincre d'une quelconque façon, à part un personnage secondaire qui aurait gagné à être bien mieux exploité. Je crois bien que je ne lirai pas la suite, si un jour elle est traduite…
Commenter  J’apprécie          10



Ont apprécié cette critique (1)voir plus




{* *}