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Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"Chaque époque laisse plus de traces de ses souffrances que de son bonheur : ce sont les infortunes qui font l'histoire."
(J. Huizinga, "L'Automne du Moyen Âge")

Comment ne pas être d'accord avec Huizinga ? L'histoire de l'humanité est mouvementée, et on garde davantage en mémoire les éprouvantes périodes des guerres, épidémies, famines et catastrophes naturelles que celles du calme et de la prospérité. Les anciens chroniqueurs et diaristes ne vont pas me contredire, ni tous ceux qui un beau jour vont décrire à leurs petits enfants le monde chaotique aux temps du Covid.
Il en va de même pour la criminalité.
Le crime a toujours existé, mais les registres officiels ne font pas grand cas des innombrables faits mineurs gérés par la "basse justice", souvent réglés à l'amiable ou par une simple amende. Querelles entre voisins, dettes impayées, insultes ou chapardages sont du pain quotidien de nos ancêtres, et cela n'a pas vraiment changé. le fait qu'Oldaric a mis une claque à Gislebert n'est guère passionnant, mais si Gislebert se venge en trucidant Oldaric d'une manière particulièrement atroce, voici ce qui est susceptible de défrayer la chronique et passer à la postérité !
Plus le crime est "horrible", plus il suscite l'indignation publique, et plus il fascine. Il est donc plus que probable que les nombreux témoignages dont on dispose, centrés presque exclusivement sur ces "crimes esnormes", ont largement contribué à l'image d'un Moyen-Âge sombre et violent, et à celle de sa justice cruelle.

Ce court livre s'appuie sur les sources de l'époque, et passe en revue des faits et méfaits criminels qui vont à l'encontre de l'esprit de la société médiévale, de sa morale et de sa foi.
On ne sera pas étonné de trouver d'abord le meurtre et l'infanticide (considéré comme summum de l'horreur), mais aussi les crimes sexuels. le mot "viol" n'existe pas encore, et le sort de filles victimes d'un "rapt" est peu enviable, même au cas où la justice est rendue, car elles sont souvent répudiées par leur propre famille. Cependant, même un meurtrier ou un violeur a plus de chance de se dérober à la punition, contrairement aux diverses déviations (comme le commerce charnel avec un animal), invariablement punies de mort. Ces faits sortent du cadre du crime ordinaire et sont davantage assimilés à l'hérésie, bien plus grave dans une société vivant dans la crainte de Dieu et de ses représentants sur Terre.
Le blasphème tombe dans la même catégorie.
Dans certains procès célèbres, une simple accusation d'un crime politique ou de lèse majesté ne semble pas suffisante pour discréditer la personne et la rendre répugnante aux yeux de la société. On y rajoute habilement et à force d'éloquence impressionnante des accusations de pratiques ignobles et même de sorcellerie. Tel était le cas des Templiers ou de Jeanne d'Arc, condamnée non seulement comme rebelle, mais aussi comme hérétique, apostat et schismatique.
Le suicide est un cas à part. Tout comme n'importe quel meurtrier, le suicidé était souvent traîné aux yeux de tous à travers la ville, parfois même pendu au gibet, sans parler du refus de la terre consacrée.
D'ailleurs, le gibet est hautement symbolique. Même s'il sert moins souvent qu'on ne le pense, il représente la puissance d'un seigneur : plus il possède de "places", plus celle-ci est grande, et les cadavres qu'on y laisse pourrir ont un fort pouvoir d'avertissement.

Qui dit crime dit aussi justice. La justice médiévale est loin d'être sommaire et expéditive, surtout à partir du 13ème siècle; une époque relativement prospère, marquée par un grand essor urbain et économique. Les universités apportent le savoir, on se tourne davantage vers la nature et on étudie Aristote. Un véritable système de justice se met en place, basé toujours sur l'ancien droit romain, mais aussi sur les dix commandements et les préceptes de St. Augustin. le roi reste le justicier suprême, et on peut faire appel à sa clémence. Les officiers royaux, baillis et juristes assurent les procès en bonne et due forme, en tenant des registres et en menant une enquête avec témoignages et preuves. En même temps, la réforme grégorienne renforce le pouvoir épiscopal et donne à l'Eglise certains droits qu'elle ne possédait pas jusque là, comme celui de la torture.

Bref, c'est tout un monde, condensé sur ces 120 pages bourrées d'information. Crimes, justice et punitions (parfois impressionnantes, mais respectant toujours plus au moins la loi du talion); la ville et la campagne, les marginaux, les organisations criminelles, les brigands et les hors-la-loi; les violences des soldats et celles des étudiants; les raisons qui font basculer les gens ordinaires dans le crime... Ajoutez-y de succulents extraits des chroniques de l'époque et des registres judiciaires, et vous en avez largement pour vos 5 euros !

4/5; le livre est vraiment intéressant, mais avec une petite centaine de pages de plus (pour développer certains sujets à peine abordés) il pourrait être excellent.
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