Le professeur de philosophie Mittelmann prend sa retraite à soixante ans et fait retour sur son parcours, questionne ces accidents, ces embranchements qui constituent malgré tout un chemin, peut-être une carrière, qui sait une oeuvre, certainement un épais brouillard traversé. Avec Éric Bonnargent, professeur de philosophie lui aussi et auteur de ce roman qui paraît ces jours-ci aux éditions du Sonneur, le professeur Mittelmann à plus d'un trait de ressemblance. Délicieuse cette qualité que possède Bonnargent mieux qu'un autre de se mettre à l'écart de soi pour se raconter, se penser, sous une forme romancée, avec lucidité et drôlerie, avec l' « oeil exercé » de celui, philosophe de son état, qui s'est évertué sa vie durant à observer et questionner. Témoin ces lignes que j'extrais des premières pages du roman.
« La mémoire n'est pas une boîte noire qu'il suffirait d'ouvrir pour dérouler le film de sa vie : les souvenirs ne sont pas des instantanés statiques, fragmentaires et disparates, des sensations anémiées, confuses, sybillines que l'esprit restaure et remanie sans cesse. le passé ? Un patchwork d'images mnémoniques et d'impressions embrouillées, nécrosées, que la conscience, telle Pénélope, tisse, détisse et retisse à l'aide de fils de mots pour y créer des motifs toujours plus renouvelés. La mémoire pense. Il n'y a pas de temps retrouvé, seulement du temps reconstitué. Non, décidément, songeait-il en s'assoupissant : nulle défaillance, nulle trahison. »
Sur son éditeur
Marc Villemain, meilleur, "voire seul" ami dans le roman comme dans la vie, il y a ces mots délicieux que l'éditeur en question a forcément lu avant nous : "Rien ne laissait présager que cet homme, alors aussi élancé que lui, se transformerait au fil des ans en un bouddha ventripotent." Peu rancunier, donc.