AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de domi_troizarsouilles


Voici un énième policier de la veine cozy mystery qui, outre son ambiance villageoise très marquée dans laquelle l'enquête est menée par celle que l'on n'attendait pas (coucou Agatha ! Raisin, bien sûr…) ; bref, voici un policier léger qui joue avec force et fracas la carte de l'originalité.
Pensez donc ! L'intrigue se déroule aux Pays-Bas - autant dire, à en croire l'autrice en tout cas, en un territoire exotique lointain pour le Français moyen – et en plus la personnage principale parle néerlandais, ce que l'autrice (qui le parle elle aussi, semble-t-il) s'emploie à souligner çà et là, à coups d'expressions locales plus ou moins traduites, et dont elle guide plus ou moins la prononciation. Il semble bien que ça ait plu…

Mais voilà : sans vouloir faire ma rabat-joie, et pour ceux qui ne le sauraient pas encore (après tout, je ne suis pas ultra-connue sur les plateformes, d'autant plus que je lis – à nouveau – beaucoup moins qu'à une période plus ancienne), je suis belge, certes pas tout à fait bilingue, mais je me défends quand même plutôt bien, et depuis l'enfance, en néerlandais. Et pour ceux qui n'auraient pas encore fait le lien : oui, en Belgique aussi, dans notre nord à nous, on parle le flamand. Or, il se trouve que le flamand n'est rien d'autre que… du néerlandais ! Certes, il y a des différences localo-culturelles parfois marquées, d'autant plus que l'Histoire (oui, oui, celle avec un grand H) n'a pas rendu les Néerlandais et les Flamands très copains ; il n'en reste pas moins qu'ils pratiquent exactement la même langue (à l'écrit), avec des différences à l'oral qui, pour faire simple, ne sont pas pires que celles que l'on pourrait entendre entre le français d'un Parisien et d'un Marseillais.
Enfin, pour boucler la boucle : en Belgique, ma génération apprenait la 2e langue nationale (l'allemand, également langue nationale, mais très largement minoritaire, étant généralement « oubliée » sauf dans les communes frontalières) dès l'enfance, plus encore quand on a une maman flamande (eh oui !) ; en outre, nos professeurs ont toujours eu la présence d'esprit de souligner que le néerlandais qu'ils enseignent est également langue nationale aux Pays-Bas, et de bien marquer la chose, si bien que j'ai eu des échanges linguistiques avec un jeune Néerlandais à l'adolescence, bien avant qu'Anne Boudart ne découvre ce pays et cette langue…

Cela étant posé, je peux déplorer de suite que l'approche résolument « exotique » de ce livre ne m'a pas réellement touchée. J'ai plutôt eu l'impression, parfois de façon très tangible, d'être comme une entomologiste vaguement spécialiste de la faune néerlandaise, en train d'observer une petite fourmi (française) en train de s'aventurer dans un nouvel environnement (les Pays-Bas). Cela m'a parfois attendrie, mais si peu! plus souvent, je suis restée assez indifférente, d'autres fois j'ai levé les yeux au ciel face à certains « clichés » pas toujours opportuns en plus, ou bien j'ai été carrément agacée.

Des exemples ?
Dès le début du livre : « Il y a au moins un village hollandais qui ne ressemble à aucun autre, c'est Beek aan Zee. Prononcer Bèque-Âne-Zé. » Alors, désolée chère Anne Boudart, mais en néerlandais (en Belgique comme aux Pays-Bas), la double voyelle « ee » se prononce toujours, toujours, toujours comme un « é » long ; dès lors, la prononciation n'est certainement pas Bèque-Âne-Zé, mais plutôt quelque chose comme Béeque-Âne-Zé. Autrement dit, la confusion désormais naturelle des Français entre les sons é et è (je hurlais à chaque fois que je voyais, sur les papiers de préparations aux dictées de mon fils, que « est » et « et » sont considérés comme des homonymes !!), confusion que le fameux accent belge ne connaît pas ; bref, cette confusion s'étend même à la prononciation indiquée d'une langue étrangère, c'est ahurissant ! (et ça m'énerve, même si, on est bien d'accord, il y a plus grave dans la vie…)

Et alors, aux 50% du livre, j'ai senti les yeux me sortir de la tête en lisant : « Elle but une gorgée de Spa rood (l'eau gazeuse au bouche rouge, rood, vendue aux Pays-Bas) pour faire passer (…). » Mais bien sûr, la Spa rouge !! dont le nom exact est la Spa Barissart, vendue aux Pays-Bas sans doute, mais surtout très belge (et francophone !) car originaire de la petite ville thermale de… Spa, en province de Liège, mondialement connue car elle a donné son nom à tant et tant de centres thermaux ! Il suffisait de regarder au Larousse (https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/spa/10909920#:~:text=1.,Centre%20d'hydroth%C3%A9rapie. ), au lieu d'écrire cette ânerie qui ne sert à rien pour le lecteur (français) lambda. C'est un peu comme si je vous disais : « Elle but une gorgée De Perrier (l'eau gazeuse en bouteille verte, vendue en Belgique). » Sérieusement ??
(Rassurez-vous, en Belgique aussi -et surtout- on dit « Spa rouge »…)

Ajoutons à cela quelques fautes d'orthographe, heureusement rares mais inadmissibles (à mon sens) pour un livre publié à compte d'éditeur, et tout aussi ahurissantes que ce qui précède.
En vrac :
- « Était-ce bien des oies, ces trois gros oiseaux costaux (sic) dont Rosita pouvait entendre les cris malgré l'altitude à laquelle ils volaient, droit devant ? » => et quoi, au singulier, ce serait un oiseau costal ?? il me semble pourtant que non, mais qu'il s'agirait plutôt, selon le sens général de la phrase, d'oiseaux costauDS (de costaud = robuste, solide)
- « Que voulez-vous, de la méthode, elle s'en serait voulue (sic) de ne pas être allée vérifier. » => dans la locution « s'en vouloir », même conjuguée avec l'auxiliaire être, le participe passé reste invariable (voir par exemple https://leconjugueur.lefigaro.fr/conjugaison/verbe/vouloir_pronominal-en.html )
- « Rosita rejoint (sic) sa porte d'entrée et entra chez elle. » => je précise : cette phrase, aux 95% du livre, fait partie de tout un paragraphe écrit au passé simple mais, visiblement, l'autrice ne connaît pas le passé simple du verbe « rejoindre », et nous plaque donc un présent l'air de rien… J'aurais pourtant infiniment préféré « Rosita REJOIGNIT sa porte d'entrée et entra chez elle. » (si tant est qu'on rejoint une porte d'entrée, mais cela est un autre débat)
Et il y en a quelques autres, sans même parler de celles qui m'ont sans doute échappé, mais je ne vais pas passer tout ce commentaire à faire un cours d'orthographe aussi basique !

Tout cela étant dit, venons-en à l'intrigue même, intéressante (ce qui fait que je donne quand même une note pas si mauvaise que ça) mais pas tout à fait convaincante malgré tout. L'autrice use et finit par abuser d'effets façon cliffhanger : elle termine plus d'un chapitre sur l'annonce d'une révélation de l'un ou l'autre protagoniste, de cette façon qui crée l'attente chez le lecteur, pour finalement dévoiler cette révélation, seulement partiellement, plusieurs chapitres plus loin, quand on a déjà à moitié oublié de quoi il s'agissait. Pire : les révélations et autres pistes se croisent et s'entrecroisent, mais il y en a trop, y inclus des éléments liés à un vague passé de Rosita, qui serait la raison originale de sa venue aux Pays-Bas, et dont je cherche encore la résolution – et cette allusion laissant entendre que Rosita maîtrise absolument tout mais préfère avancer pas à pas et avoir tous les éléments en mains avant de présenter ses conclusions, alors que son assistant, tout comme le lecteur, est dans un brouillard complet ! Tout cela donne, hélas, l'impression d'une intrigue assez décousue qui, même si elle ne lasse pas tout à fait, finit par sembler un peu trop, inutilement longue… pour une résolution quelque peu en eau de boudin.

Notons en outre que, comme dans un bon petit policier conventionnel, Rosita rassemble son petit monde en fin de volume (vers les 80% de l'édition numérique) pour asséner ses révélations à petit feu et finalement désigner le/la coupable. Cette dernière partie a beau multiplier les mini-rebondissements (sympathiques), il se trouve que c'est précisément le genre que je n'aime pas, et cela n'a rien à voir avec l'autrice : si j'aime les policiers, thrillers et autres polars, c'est quand ils invitent le lecteur à faire fonctionner ses méninges, à essayer de traquer le coupable avec le.s enquêteur.s, lui donnant parfois même un coup d'avance. Vous l'avez compris : ce n'est pas le cas ici, on est dans du classique très traditionnel ; il n'y a finalement que le décor et les protagonistes qui changent d'un Hercule Poirot par exemple (que je n'ai jamais lu, mais dont j'ai vu de nombreuses adaptations à la télé).

La principale force de ce cozy mystery est finalement l'un des éléments propre au genre, juste cité plus haut : les personnages ! Au même titre que les instantanés que l'autrice donne de ce village néerlandais, on est en plein dans la caricature – à la différence que, contrairement à la description d'un village plein de clichés linguistico-culturels qui m'avaient plutôt gênée, avec les personnages on est en plein dans la fiction et, dès lors, ça marche ! (On espère, du moins, que cette surenchère dans la caricature est voulue… Je vais considérer que oui !)
Au début, on les mélange bien un peu, car ils sont pour la plupart assez vite présentés, mais tout aussi vite on les distingue suffisamment pour reconnaître qui est qui, pour s'étonner de telle ou telle réaction, rire avec l'un ou l'autre, s'émouvoir et s'énerver face à leurs répliques et autres actions. On est entrés dans le village avec Rosita et on fait connaissance avec les uns et les autres à son allure, c'est-à-dire à un bon rythme mais sans se presser et efficacement. On s'attache à certains d'entre eux, d'autres sont d'emblée moins sympathiques, et dans tous les cas, à nouveau, ça marche !

La seule qui me laisse un peu perplexe, en réalité, est Rosita elle-même. On comprend qu'elle n'est pas venue dans ce bled perdu des Pays-Bas pour aller résoudre une enquête (qui va se présenter à elle à son corps presque défendant !), mais pour une raison autre que de pures vacances ; raison qui sera peu à peu révélée, mais qui pour moi n'est pas aboutie. À part ça, j'ai un peu de mal avec la personnage même : l'autrice nous la présente comme une policière hors pair, qui a un taux de réussite phénoménal y compris pour quelques cold cases, et elle nous cite même quelques exemples vite survolés de ce que Rosita a réalisé dans sa carrière parisienne. Bon, ok : on n'a aucun de ces antécédents, je me suis même demandé s'il y avait une série avant la série, que j'aurais loupée, et dans laquelle les aventures parisiennes auraient été contées… Mais non, il semble bien que c'est le tome 1 d'une nouvelle série avec cette héroïne-là. Soit.
Mais alors, pourquoi faut-il toujours que les autrices jeunes (car Anne Boudart est jeune, quand on voit ses photos sur Internet c'est indéniable) dépeignent leurs aîné.es comme à moitié arriéré.es ?! Parce qu'elle a 57 ans (ce qui est répété plus d'une fois), Rosita est enrobée, petite, coiffée à la va-comme-je-te-pousse hirsute parce qu'elle ne prend plus soin d'elle, et mal attifée. Certes, c'est un choix d'autrice, et je l'ai dit, on sait qu'on est dans la caricature… mais Anne Boudart aurait-elle décrit son héroïne d'une telle façon si elle lui avait donné 15 ou seulement 10 ans de moins ? J'ai un gros doute…
Ici en tout cas, j'ai ressenti que cette décrépitude physique (y inclus capillaire et vestimentaire) allait de pair avec l'âge « avancé » de Rosita qui, en contrepartie, a quand même un esprit toujours aussi vif, ouf ! Il n'empêche : à mes yeux de (jeune) quinquagénaire, cette façon de présenter une autre quinqua relève d'un certain « jeunisme ». Oh ! il est masqué, sans doute même pas conscient de la part de l'autrice ! alors je lève les yeux sur plusieurs de mes collègues qui approchent de la soixantaine, et tout à coup je trouve cette vision de l'autrice, caricature ou pas, tout simplement très réductrice, « sans le vouloir » peut-être, mais à la limite, c'est encore pire…

Lirai-je la suite des aventures de Rosita Marcadet ? Après tout, ceci est présenté comme un tome 1, donc on imagine très bien que ça ne va pas s'arrêter là ! Rassurez-vous : ma réponse ne sera pas tranchée en défaveur de l'autrice ! Je pense même lui laisser une seconde chance, en accentuant peut-être davantage mon regard d'entomologiste, ce qui évitera les déceptions. Après tout, je peux bien reconnaître que parfois, ce regard d'une Française sur des Pays-Bas tellement exotiques m'a fait sourire, aussi, à défaut d'y avoir trouvé l'engouement de la plupart des autres lecteurs.
Commenter  J’apprécie          50



Ont apprécié cette critique (5)voir plus




{* *}