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Critique de YvesParis


Écrites directement en anglais, les mémoires du secrétaire général de l'ONU, l'Égyptien Boutros Boutros-Ghali, sont publiées en France et dans le monde arabe sous un titre différent du titre anglais. « Unvanquished » est un jeu de mots intraduisible : il se lit à la fois UN Vanquished (la défaite des Nations unies) et Unvanquished (l'auteur, lui, ne s'avoue pas vaincu). le titre français et arabe insiste, quant à lui, sur la transparence néfaste dans laquelle le secrétaire général des Nations unies est obligé de travailler.

Boutros Boutros-Ghali a beau s'en défendre, son livre est un règlement de comptes. Règlement de comptes avec les États-Unis, qui ont opposé leur veto à sa réélection pour un second mandat de cinq ans (alors que tous les secrétaires généraux, depuis l'origine, ont bénéficié de deux mandats). Règlement de comptes avec la « seule superpuissance » qui fait de l'ONU l'un des éléments de sa politique extérieure, l'écartant lorsqu'elle contredit ses objectifs (Israël), ou la mettant en avant pour masquer son impuissance (Somalie) ou son indécision (Rwanda). Règlement de comptes avec Madeleine Albright, alors ambassadeur des États-Unis auprès des Nations unies, accusée d'avoir monté la Maison-Blanche contre lui dans le but, finalement atteint, d'accéder au secrétariat d'État.

Si Boutros-Ghali présente la trépidante activité d'un secrétaire général des Nations unies confronté, au lendemain de la guerre froide, partout sur la planète, au défi du maintien de la paix, c'est toujours dans la perspective des relations entre l'ONU et les États-Unis. On peut regretter ce parti pris, d'ailleurs revendiqué par l'auteur, qui laisse dans l'ombre les relations avec les autres puissances.

Boutros Boutros-Ghali, fin lettré et diplomate de la vieille école, feint de découvrir l'unilatéralisme des États-Unis : « J'ai mis un certain temps à comprendre que les États-Unis ne voient guère d'utilité à la diplomatie. La puissance leur suffit. Seuls les faibles comptent sur la diplomatie. C'est bien pourquoi les faibles se préoccupent tant du principe démocratique de l'égalité souveraine des États, un moyen d'assurer, dans une moindre mesure, une certaine égalité à ceux qui ne sont pas effectivement égaux [...] L'Empire romain n'avait pas besoin de diplomatie. Et les États-Unis non plus. Pour une puissance impériale, la diplomatie n'est que perte de temps et de prestige, et aussi signe de faiblesse » (p. 305).

Le Secrétaire général est persuadé que le soutien des États-Unis est nécessaire au succès de l'Organisation. Il voit la preuve d'une coopération réussie dans l'opération haïtienne. Au contraire, il n'a pas de mots assez durs pour critiquer l'attitude américaine en ex-Yougoslavie. Il accuse les États-Unis de s'y être « impliqués politiquement, tout en étant déterminés à ne pas s'impliquer militairement » (p. 403). On lui reproche l'impuissance de la Forpronu ? Il critique les réticences des membres du Conseil de sécurité à mobiliser les moyens nécessaires. On lui reproche d'avoir retardé les frappes aériennes ? Il en reporte le tort sur les États eux-mêmes qui ne souhaitaient pas faire de leurs soldats au sol des otages potentiels : les États-Unis savaient pertinemment que ni la France ni même le Royaume-Uni n'accepteraient de telles frappes et voyaient dans les Nations unies un bouc émissaire commode pour cacher les dissensions de l'OTAN. Et Boutros-Ghali de conclure : « Aborder ainsi une crise internationale est fondamentalement une erreur. Pousser les Nations unies sur le devant de la scène tout en les privant des moyens nécessaires et en les utilisant comme boucs émissaires, c'était pour les États-Unis et les Occidentaux une façon de s'acheter du temps, mais à un prix qui ne se justifiait pas » (p. 403).

Finalement, malgré son opiniâtreté, le Secrétaire général laissera, selon son expression, les États « l'assassiner » (p. 518). Avec une morbide amertume, Boutros Boutros-Ghali décrit, pendant plus de 100 pages, les manoeuvres américaines qui conduiront à son éviction. le soutien tous azimuts qu'il obtient, en Afrique, en Chine et en Russie, en Europe occidentale, contraste avec la décision irrévocable des États-Unis de ne pas le reconduire. C'est, explique Boutros-Ghali, que sa réélection est devenue un enjeu de politique intérieure, en pleine campagne présidentielle. le candidat républicain, Robert Dole, l'appelle « Bootrus» pour susciter les applaudissements de son auditoire. le président Clinton, qui n'est pas a priori hostile au secrétaire général égyptien, se laisse convaincre par Warren Christopher et Madeleine Albright que soutenir Boutros-Ghali risquerait de lui faire perdre des voix. Frisant la paranoïa (notamment quand il réduit la tournée africaine de Christopher à une opération d'intimidation menée par la diplomatie américaine contre les soutiens du Secrétaire général sortant),
Boutros Boutros-Ghali se considère comme la victime de la politique intérieure américaine.

Les mémoires de Boutros-Ghali ont le défaut de personnifier des questions qui dépassent les rivalités de personnes. Au-delà de l'anecdote, elles révèlent les limites d'une organisation dont George Bush avait pourtant espéré, dans son célèbre discours sur le nouvel ordre mondial, que « libérée de l'impasse de la guerre froide, elle [soit] en mesure de réaliser la vision historique de ses fondateurs ». Lui reprocher son impuissance, son manque de réformes est lui faire un mauvais procès. L'ONU n'est que la fille des États. C'est hélas une fille mal aimée.
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