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Critique de YvesParis


« La Cour suprême, le droit américain et le monde » est le troisième ouvrage du juge Breyer publié en France chez Odile Jacob – à un prix qui risque hélas d'en limiter la diffusion. Il évoque des décisions rendues par la Cour suprême américaine – où il a été nommé par W. Clinton en 1994 – ayant une dimension internationale. Soit qu'il s'agisse pour la Cour de statuer sur l'application extraterritoriale des lois américaines (cette partie est joliment titrée « Chez soi à l'étranger »). Soit qu'il s'agisse d'interpréter des accords internationaux dont la méconnaissance des stipulations est invoquée devant elle.

L'ouvrage s'ouvre par un chapitre consacré à une autre question : le contrôle du juge constitutionnel sur des menaces étrangères pesant sur la sécurité nationale. le sujet est d'une actualité brûlante depuis le 11-septembre. Mais il ne date pas d'hier. Depuis toujours, le juge s'est posé la question des limites de son contrôle sur les actes de l'exécutif les plus sensibles. En France, il applique la théorie des actes de gouvernement. Aux Etats-Unis, mettant en oeuvre la maxime cicéronienne (« les lois se taisent au milieu des armes »), il montre une grande déférence à l'égard du « maquis du politique » (Political thicket). Mais la jurisprudence de la Cour suprême américaine, comme celle du Conseil d'État en France, a évolué, réduisant à peau de chagrin le champ des « questions politiques ». le temps n'est plus où elle fermait les yeux sur le cantonnement dans des camps de prisonniers de milliers de ressortissants japonais (Korematsu, 1944). Par une série de décisions rendues en 2004, 2006 et 2008 (Rasul, Hamdi, Hamdan, Boumediene) sur des plaintes formées par des prisonniers retenus à Guantanamo, elle a soumis à un contrôle effectif les décisions de l'exécutif restreignant les libertés publiques au nom de la sécurité nationale.

Ce prologue, aussi intéressant soit-il, nous écarte du vrai sujet du livre : l'articulation du droit américain, du droit international et des droits étrangers. Il ne s'agit plus, même pour la première puissance au monde, d'un choix, mais d'une nécessité : le temps n'est plus où le juge, fût-il suprême, pouvait juger des affaires dont il était saisi sans tenir compte de la réalité du monde extérieur. Parce qu'une loi du Congrès votée en 1789, l'Alien Tort Statute, étend aux étrangers les principes de la responsabilité civile, la Cour suprême doit statuer sur la plainte dirigée contre Shell à raison des dommages que cette société aurait causée dans le delta du Niger (Kiobel, 2003). Parce que les Etats-Unis sont partie à la Convention de Vienne de 1963 sur les relations consulaires, la Cour doit se demander si la carence des autorités policières à informer, lors de leur arrestation, des ressortissants mexicains de leur droit de solliciter l'assistance de leur consul a vicié la procédure conduisant à leur condamnation (Sanchez-Llamas, 2206 et Medellin, 2008).

Le juge Breyer prône de régler ces affaires dans le respect de la « courtoisie internationale », c'est-à-dire d'éviter que des droits interne et étranger ne placent un même individu face à des obligations contradictoires. Sa position n'a pas toujours prévalu. D'importantes décisions ont été adoptées sans sa voix ; mais le système américain des opinions discordantes, inconnu en France, l'autorise à expliquer ses désaccords. Dirigée par une majorité conservatrice de juges nommés par des présidents républicains, la Cour suprême, dans sa composition actuelle, n'est pas internationaliste. L'ouvrage du juge Breyer doit se lire autant comme un essai de vulgarisation sur la jurisprudence de la Cour suprême qu'un plaidoyer destiné au public américain en faveur d'une plus large ouverture au monde.
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