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Critique de Gribouille_idf


Gérald Bronner et Etienne Géhin m'ont replongé dans le débat classico-théorique de la sociologie. La confrontation individu/société, causalité/rationnalité, holisme/individualisme méthodolotique, agent/acteur, … ne date pas d'hier. Déjà, au moment où j'abordais la discipline sociologique à la Sorbonne, au début des années 90, cette discipline universitaire traversait une crise d'identité scientifique. Mais, ce n'est pas tant ce point-là qui est évoqué dans ce livre, il s'agit plutôt, pour nos deux sociologues, de réinterroger l'approche et l'explication des faits sociaux. Pour cela, ils partent, sans surprise, d'Emile Durkheim. Pourquoi ? Parce que l'approche déterministe prend, d'une certaine manière, naissance avec les « Régles de la méthode sociologique »; ouvrage de référence pour tout sociologue qui applique la règle fondamentale et essentielle : « la cause déterminante d'un fait social doit être cherchée parmi les faits sociaux antécédents, et non parmi les états de la conscience individuelle » (Chapitre 1 des « Règles de la méthode sociologique »). Ainsi, Bronner et Géhin reprochent à Durkheim d'avoir sous-estimé les « généralités psychologiques » par méthodologisme, mais aussi son caractère indirectement idéologique, même s'ils ne le disent pas clairement, lorsque Durkheim analysait certains phénomènes comme le crime, le suicide ou encore les croyances religieuses. Or, pour nos deux auteurs, l'explication des phénomènes sociaux est à rechercher dans les raisons individuels qu'ont les acteurs d'agir ou de ne pas agir. Ils s'intéressent aux motivations pour comprendre les comportements et ainsi, par agrégation, les expliquer. Pour eux, « l'acteur social est un individu dont les conduites s'appuient sur un stock de croyances et de connaissances, d'habitudes mentales et d'habitudes pratiques, qui sont dites « culturelles » parce qu'elles ne sont pas innées mais acquises - pas seulement mais d'abord par voie d'éducation. » A partir de là, ils s'inscrivent dans une sociologie dite analytique; une sociologie qui ferait la synthèse de la sociologie de Max Weber (principe de rationalité), de la psychologie de Watson (motivation à agir) et des sciences cognitives (les travaux de Changeux, de Gazzigna, de Lachaux, d'Houdé). Ces deux sociologues intègrent des savoirs biologiques dans leur approche car, « l'une des caractéristiques de la vie mentale des être humains est la plasticité intellectuelle, le pouvoir de mettre en sourdine certaines routines, d'en choisir d'autres, et de revenir sur un raisonnement ou sur une préférence. » Du point de vue d'un sociologue « déterministe », ces données biologiques ne sauraient intervenir dans l'explication des faits sociaux, encore moins dans l'explication des comportements individuels. Or, c'est bien cet aspect feuilleté de l'individu, qui rend les comportements imprédictifs, contrairement à ce que prétendent les tenants du déterminisme social. Pour ne pas sombrer dans un déterminisme stérile, il faut en effet distinguer le pouvoir de prévision et celui de prédiction des sciences sociales: « La prévision se distingue de la prédiction en ce qu'elle ne va pas sans plus ou moins d'incertitude, tandis que les prédictions s'appuient sur des modèles mathématiques déterministes. » Ainsi, la sociologie pourrait-elle gagner en légitimité dans le champ des sciences sociales et humaines.
Pour ce faire, Bronner et Géhin considèrent que la posture du sociologue doit s'appuyer sur la notion de « neutralité axiologique » cher à Max Weber. Car, nous dit ce dernier, « la confusion permanente entre discussion scientifique des faits et raisonnement axiologique est une des particularités les plus fréquentes et les plus néfastes dans les travaux de notre spécialité. C'est uniquement contre cette confusion que son dirigées nos remarques précédentes et non contre l'engagement en faveur d'un idéal personnel. »

Si je partage de nombreuses idées que contient cet essai; notamment sur l'impératif de neutralité axiologique (dés lors où le sociologue se veut scientifique du social), je ne peux me résoudre au traitement, parfois injuste et réducteur, de l'approche déterministe. Pour ma part, je partage le point de vue d'un autre sociologue disparu en 2006, Jean-Michel Berthelot. Il défendait ce qu'il appelle le « pluralisme sociologique »; autrement dit, faire de la sociologie la boîte à outils du sociologue et ainsi s'autoriser à faire appel aux notions, concepts et théories les plus appropriés à la compréhension et à l'explication d'un phénomène social. Mais, c'est aussi, et les deux auteurs l'ont bien montré, par son ouverture aux autres sciences (humaines, physiques ou biologiques) que le sociologue (re)gagnera en crédibilité et fera de sa discipline une science à part entière.
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