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Critique de michfred


Egon Schiele, comme Basquiat-  deux artistes  dont la fondation Vuitton présentait, il y a peu, une double rétrospective- , s'éteint, en plein essor,  à 28 ans.

Bizarrement, les points communs entre ces deux peintres si différents ne manquent pas.

Comme Basquiat,  il pratique avec âpreté,  exigence, l'autoportrait.   Comme lui, il aime choquer, transgresser. Comme lui, il flirte sans cesse avec la mort : une profonde angoisse existentielle l'habite , comme s'il savait qu'il allait avoir tellement  peu de temps sur terre pour faire ses preuves.

Mais si Egon Schiele manque de confiance en lui comme homme, il met toute sa foi dans l'artiste qu'il sait être.

Parfois influencé -surtout dans ses paysages-par la décomposition cubiste, il est  un moment tenté  par les fastes décoratifs  d'un Klimt. Le maitre d'ailleurs l'accueille à  l'Académie des Arts de Vienne en répondant à sa question :"Ai-je du talent? " par la réponse: "Trop, beaucoup trop! "

Durablement marqués par le Jugenstil viennois,  ses dessins et peintures restent longtemps bidimensionnels,  refusant volume et profondeur,  isolés sur un fond neutre, avec un arrière-plan souvent réduit au papier-et même au papier d'emballage qu'il prise particulièrement- .

Seule éclate l'incroyable fermeté, la suggestivité du trait, que  relèvent des pigments d'aquarelle flamboyants, fondus subtilement entre eux  par la technique de "l'humide sur humide" ou surlignés par des traces de gouache blanche ou de couleur, posées à sec.

Le tracé magique des dessins de Schiele  donne à ses oeuvres la  fiévrosité expressionniste, la torsion  maladive, la tension  érotique qui deviennent sa marque de fabrique.

Trait juste,  tracé parfait, recherche de l'angle le moins convenu,  de la pose la plus contorsionnée,  la plus trouble. Ses dessins provoquent. 

Sa vie aussi.

Dans les petites villes de province  qu'il sillonne apres avoir claqué la porte de l'Académie, il s'affiche avec sa compagne et modèle Wally,  la belle rousse -l'union libre est un péché capital à cette époque, surtout pour un artiste sans le sou- , pire, il n'hésite pas à faire  poser enfants et jeunes filles dans son atelier.. .sans se soucier des dessins érotiques qui y traînent..

La réaction ne se fait pas attendre: Egon Schiele passe 24 jours au cachot, où il va faire treize autoportraits torturés, angoissés mais vindicatifs: il y  revendique hautement sa liberté d'artiste.

La guerre arrive:  par chance, Schiele,  malingre, se fait par deux fois réformer, et continue à peindre avec acharnement, toujours étonné d'être en vie et sain d'esprit -son père syphillitique est mort fou-  mais en 1916 la conscription cette fois le rattrape  et l'incorpore dans l'armée, dans un poste peu exposé, il est vrai.

Schiele vient de se ranger- quelque peu difficilement:  il a fallu quitter nettement sa belle Wally- :   il a épousé une jeune Edith , issue de la petite bourgeoisie,  elle attend un enfant de lui , Gerti, sa soeur tant aimée,    mariée à  Peschka, un ami peintre, est déjà mère...

Mais il ne nous sera pas donné de voir à leur tour ses tableaux s'assagir.

Dans les derniers jours de la guerre, alors qu'il vient de dessiner un tendre portrait du visage mélancolique d'Edith sur son lit d'agonie, comme pour la protéger de cette terrible grippe espagnole qui fit plus de morts que la Grande Guerre elle-même,  trois jours après la mort de sa jeune femme, le jeune peintre au crayon magique est emporté à son tour par la mortelle influenza. Il a 28 ans.

Le catalogue retrace cette vie brève,  souvent tragique, cet acharnement obstiné du talent contre préjugés et coups du destin, et fait la part belle aux dessins, prodigieux, du grand Egon qui , de page en page, cache ou tend ses grandes mains décharnées et expressives, darde sur nous son regard fiévreux et inquiet, le corps tordu et souffrant , comme un Christ quelque peu blasphématoire, un martyre consentant de son chemin de croix artistique.

Magnifique exposition et peintre décidément bouleversant.

 
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