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Critique de Presence


Ce tome fait suite à Another sunny delight (épisodes 7 à 12). Il contient les épisodes 13 à 18, initialement parus en 2007, écrits par Joe Casey, dessinés et encrés par Tom Scioli, mis en couleurs par Nick Filardi. Il commence par une page de présentation des personnages, et une page de résumé. Cependant il vaut mieux avoir commencé la série par le premier tome.

Épisode 13 – The Never et Adam Archer sont prisonniers dans une dimension parallèle et asservis en esclavage pour exécuter des travaux forcés. Épisodes 14 à 18 – Adam Archer est de retour sur Terre, creusant un petit cratère en plein Central Park (mais sans blessés à déplorer). Neela Archer est toujours portée disparue dans une mission spatiale. Son frère n'arrive pas à la contacter mentalement, ce qui le conduit à supposer qu'elle n'est plus de ce monde.

Le Tourmenteur poursuit ses préparatifs pour se venger de Friedrich Nickelhead, qui a placé la tête de Basil Cronus sur le corps de la fille du Tourmenteur. La triade (Ed, Supra et Eeg-Ho) poursuit ses préparatifs pour faire exploser le noyau de la Terre. Neela subit des expérimentations aux mains de mystérieuses entités. le général Beaumont Brigg (l'officier de liaison entre Adam Archer, et l'armée) constate qu'Archer agit de plus en plus de manière indépendante.

Ce tome commence par un résumé en 1 page des 2 précédents, et le lecteur peut ainsi constater de visu la quantité impressionnante de péripéties déjà survenues (il y a également une forme de résumé dans l'épisode 16, en quelques pages, le général Brigg rappelant les principaux événements à d'autres officiels). En cela, Joe Casey continue de respecter l'une des caractéristiques des comics des années 1960 : une intrigue dense (Haro sur la décompression !). Ce nouveau tome ne déroge pas à la règle : le récit avance vite, avec plusieurs intrigues secondaires. Comme la narration est dense, le lecteur n'éprouve jamais la sensation que les intrigues secondaires viennent détourner l'attention d'une histoire principale qui ne serait pas assez fournie.

Respectueux de leur lettre de mission d'origine, Casey et Scioli poursuivent leur histoire dans ce genre assez pointu qu'est le "Jack Kirby cosmique". le lecteur retrouve les points d'énergie (Kirby crackles), le superhéros cosmique, les voyages dans l'espace, les dimensions alternatives, les gros monstres étrangers à l'humanité. Scioli continue de jouer avec les tics graphiques de Kirby : personnages avec les mains en avant, personnages ayant souvent la bouche grande ouverte ou entrouverte, ombrages plus conceptuels que réalistes, individus tout muscles bandés et prêts à bondir, costumes théâtraux pour les supercriminels.

Comme dans les tomes précédents, Tom Scioli respecte l'apparence des dessins de Jack Kirby, sans en reprendre l'esprit. C'est particulièrement patent pour les ombrages dont il se sert plus comme habillage des formes, sans qu'ils ne forment une composition à l'échelle de la case. C'est également manifeste dans la technologie d'anticipation, aussi vague que celle de Kirby, mais plus générique et moins conceptuelle d'un point de vue graphique. La conception des environnements souffrent parfois de ce manque de vision globale, en particulier dans la dimension de l'épisode 13. Paradoxalement, par comparaison, cela en devient un hommage d'autant plus poignant aux capacités imaginatives de Kirby, supérieures à celles de Scioli.

D'un autre côté, Tom Scioli réussit à faire coexister toutes les bizarreries du scénario dans un environnement visuel très cohérent. Il sait également donner l'apparence de Jack Kirby à ses dessins à chaque planche, à chaque case. Il adapte son découpage à la nature de chaque séquence, de 4 cases par page à 13 cases sur une page pour être cohérent avec le rythme de la narration. Il sait conserver la bonne mesure de naïveté visuelle pour que les passages les plus bizarres conservent une part de poésie (le corps de Neela démonté en pièces détachées).

Nick Filardi réalise la mise en couleurs à l'infographie, sans se restreindre au schéma chromatique des comics de la fin des années 1970. Il utilise des couleurs moins criardes, avec quelques nuances dans chaque teinte pour donner un peu de volume aux formes délimitées. Il réserve les teintes plus vives aux manifestations des superpouvoirs d'Adam Archer et aux rats anthropomorphes (habillés de bleu et rouge, serviteurs de Friedrich Nicklehead).

De son côté, Joe Casey semble prendre beaucoup de plaisir à rendre hommage à son idole, sans laisser de côté ses propres thèmes. Il insère quelques notes d'humour, soit par le biais du caractère d'Angie qui ne s'en laisse pas conter, soit par une remarque pince-sans-rire rappelant que les auteurs ont conscience de la nature de leur récit. Par exemple le narrateur omniscient observe que "Neela Archer ne peut même pas réussir une simple bulle de pensée" (= une réflexion intégrant la nature du media). le lecteur ressent donc qu'il s'agit d'un récit bon enfant dont les péripéties sont à prendre au premier degré comme des aventures merveilleuses, sans plausibilité aucune.

Le lecteur constate également que Casey continue de développer une thématique sous-jacente, déjà présente dans les tomes précédents. Au premier abord, il est possible d'apprécier ce regard d'enfant capable de s'émerveiller devant les mystères enchanteurs de l'univers. Certes les péripéties participent d'un imaginaire enfantin, mais Casey sait transcrire et faire éprouver au lecteur ce plaisir à se lancer dans la découverte de contrées inconnues, d'explorer et d'apprécier les spectacles offerts par la création.

Le récit creuse encore la notion d'être suprême et de relation à l'autre. Dans le premier épisode, les créatures extradimensionnelles asservissent les autres races pour leur profit, sans chercher à établir une relation autre que de dominant à dominé. de la même manière Friedrich Nickelhead n'envisage la relation à l'autre que sous la forme de domination. À l'évidence les entités ayant capturé Neela Archer ne la considère que comme une créature de laboratoire sur laquelle conduire des expérimentations. le superhéros Crashman est motivé par la gloire et son engagement à servir sa patrie. Stella et Angie Archer ont choisi une vie dans l'ombre de celle de leur frère.

Le lecteur en vient alors à considérer les motivations des individus qui semblent échapper à toute forme d'asservissement. Les motivations de Maxim (l'extraterrestre dont la morphologie évoque celle de Lockjaw, le chien des Inhumans) sont d'aider Adam Archer à maîtriser ses capacités pour aider l'humanité à évoluer vers un stade supérieur. Adam Archer reste guidé par ses émotions (son inquiétude vis-à-vis de sa soeur), et par son sens du devoir (avec de grands pouvoirs viennent de grandes responsabilités). le général Brigg est motivé par son sens du bien de la communauté, dépassant le stéréotype du militaire borné ou inféodé à son devoir, sans capacité de réflexion. Basil Cronus est toujours à la recherche de la substance psychotrope qui lui permettra de se défoncer.

Les actions d'Adam Archer (avec Maxim et dans une moindre mesure Neela Archer) vont dans le sens d'une quête de la compréhension de l'ordre des choses, d'une interrogation sur l'existence éventuelle d'un être suprême (appelé Iboga), ce qui donnerait un sens à l'existence. Casey ne développe pas ces thèmes sous la forme d'une réflexion philosophique, mais les propos des personnages montrent qu'Iboga et les autres ennemis ne sont pas que de simples artifices pour créer une situation conflictuelle requérant l'usage de superpouvoirs.

Avec ce troisième tome, les auteurs persistent et signent : leur série sera entièrement dans le genre (assez pointu) "Kirby cosmique", sans concession (il ne s'agissait pas d'un dispositif artificiel pour attirer l'attention sur leur produit ; il suffit de regarder le nouveau personnage Lucky). La densité narrative ne faiblit pas, et l'usage des tics graphiques de Kirby est systématique. L'aventure grand spectacle est au rendez-vous, avec tout ce qu'elle peut avoir d'improbable : superpouvoirs, créatures extraterrestres, expédition spatiale, dimensions étrangères, etc. À eux deux, Joe Casey et Tom Scioli ne sont pas Jack Kirby (même le temps de cette histoire), mais ils racontent une histoire bien ficelée dans ce genre très pointu. En prenant un peu de recul, le lecteur constate que l'histoire de Joe Casey ne se limite pas à une suite de péripéties échevelées. Elle comprend également une dimension ayant trait à la soif de découverte, et une autre relative aux différentes formes de tutelles.
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