AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Presence


Ce regroupe les 12 épisodes de la série, initialement parus en 2013/2014. Ils forment une histoire complète et indépendante de toute autre. le scénario est de Joe Casey, les dessins de David Messina, l'encrage de Gaetano Carlucci pour les épisodes 4 à 12, et de Messina pour les épisodes 1 à 3. Sonia Harris a participé à l'intrigue et a réalisé les pages 291 à 294 à l'infographie. La mise en couleurs est assurée, en fonction des épisodes, par Giovanna Niro, Fabiola Ienne, Claudia Scarletgothica et Valentina Cuomo.

L'histoire commence alors que Jasper Jenkins est en train de s'allumer une pipe à eau de grande taille, contenant des substances psychotropes. Son geste est interrompu par Terry (son colocataire). Ils partagent ce bong ensemble. La télévision diffuse des informations en direct, dans lesquelles le présentateur indique que l'appartement de Dan Kantor (le préfet de police) est en train d'être saccagé par un individu doté de superpouvoirs. le temps que Terry se retourne, Jasper a disparu du salon. Il intervient dans son costume de The Bounce pour sauver le préfet et se battre contre The Crunch.

Dans son bureau Jeremiah Jenkins (le frère de Jasper) essaye de faire face aux retombées médiatiques de cette agression. Ailleurs The Darling (un individu en costume cravate) essaye de convaincre son commanditaire militaire (le général Bava) que le prototype de porte dimensionnelle est presqu'opérationnel. Plus tard en allant chercher de la dope, Jasper Jenkins vit une expérience de décorporation et il se retrouve dans un monde peuplé uniquement de superhéros, où il retrouve Zander (sans pouvoir), un copain décédé.

Joe Casey est un scénariste original qui écrit de nombreux projets indépendants tous dotés d'une forte personnalité, et régulièrement il réalise des histoires pour Marvel, DC ou Dark Horse. En 2013, le lecteur prend conscience de l'existence de cette série comme une histoire complète, avec une première couverture présentant le superhéros The Bounce dans une posture évoquant celle de Spider-Man (période Steve Ditko), avec des pouvoirs évoquant Speedball (une autre création de Ditko). La deuxième présente un mystérieux personnage en costume-cravate, avec des dreadlocks, et la troisième un travesti dans une belle robe blanche. Difficile de deviner de quoi il retourne.

D'épisode en épisode, le lecteur constate qu'il s'agit d'une histoire de superhéros avec costume moulant et superpouvoirs, affrontant des supercriminels. Il y a également quelques intrigues secondaires comme ce portail interdimensionnel, ce monde de superhéros dont on ne sait s'il est onirique (ou même peut-être la vraie réalité), les agissements de The Vamp une supercriminelle dépendante de l'énergie des autres superhéros, Silver la voyante extralucide cryptique, Vanglorious Vox un superhéros venu d'une autre dimension, etc.

Joe Casey a construit un scénario dense, exposé avec une narration fluide qui ne perd jamais son lecteur et qui recèle de nombreux mystères incitant à tourner la page rapidement. Il bénéficie des dessins très clairs et détaillés de David Messina. Dans une première approche, cet artiste dessine dans une veine comics, avec quelques effluves de Terry Dodson, mais sans son obsession pour la silhouette féminine. En regardant dans le détail, cette comparaison est réductrice, car Messina compose des planches comprenant une moyenne de 6 cases par page dans lesquelles il insère un bon niveau de détails, avec une attention réelle pour les décors et les arrières plans

Messina ne se contente pas d'esquisser rapidement les lieux ; il donne à chacun d'eux une apparence différente (aidé en cela par la mise en couleurs). Au premier coup d'oeil, le lecteur identifie immédiatement dans quelle réalité se trouve The Bounce. Il dispose de grandes compétences en matière de costumier et de chef décorateur. Il sait concevoir des mises en scène qui rendent vivantes toutes les séquences, y compris celles de dialogues. Ses personnages se distinguent tous les uns des autres, sans avoir pour autant des apparences caricaturales. Sans être des modèles de nuances, les expressions des visages permettent de se faire une idée de l'état d'esprit de chacun. Au fil des pages, David Messina finit par épater le lecteur, non pas pour une capacité extraordinaire dans un domaine de la narration visuelle, mais par la somme de sa maîtrise discrète de tous les domaines, et sa versatilité lui permettant de dessiner toutes les situations avec la même conviction.

La lisibilité et la construction des dessins et des séquences permettent au lecteur de pleinement apprécier l'intrigue dans toutes ses ramifications. Joe Casey entremêle plusieurs fils narratifs qui semblent parfois fortement éloignés (l'histoire personnelle de The Darling, sans rapport immédiat avec les agissements de The Vamp, par exemple), demandant au lecteur de lui accorder sa confiance sur la direction générale du récit. L'histoire regorge de trouvailles et de surprises originales, allant de la raison pour laquelle The Darling croque régulièrement des petits lézards vivants, au rôle de Zander seul humain normal dans un monde de superhéros. Joe Casey sait insérer des touches d'humour chronique et irrévérencieux. La provocation initiale avec la pipe à eau n'a rien de gratuite.

Le lecteur découvre sans surprise que le récit s'achève par le combat de The Bounce contre la grosse bébête lovecraftienne issue d'une dimension voisine. À ce niveau-là, cette histoire s'est avérée très divertissante, riche et surprenante, avec une fin un peu téléphonée. L'environnement créé par Joe Casey et David Messina peut même sembler un peu sous-exploité par rapport à sa richesse.

Toutefois, le lecteur se fait la réflexion que ce combat final et cette fin très morale (Jasper Jenkins décide de faire autre chose de sa vie que de passer le temps entre 2 défonces) est quand même bien gentillette et que ce monde de superhéros est trop sous-exploité. Effectivement, cette histoire touche également le lecteur pour la situation de Jasper Jenkins, pour sa vie sans intérêt de drogué chronique attendant sa dose de distraction qui le tire de son quotidien quelconque, morne et sans attrait.

Le portrait de ce jeune homme sonne juste, sans misérabilisme, sans autocomplaisance (un slacker en VO). Bien sûr le lecteur éprouve également une forte empathie pour lui dès qu'il revêt son habit de superhéros, qu'il devient altruiste et la vie lui apparaît beaucoup plus colorée.

Décidément cette fascination pour les superhéros apparaît ben étrange. Jenkins indique même qu'il s'agit d'une évidence pour lui, que dès qu'il a compris qu'il disposait de capacités exceptionnelles il a su qu'il devait revêtir un costume coloré et lutter contre le crime. Ce qui est étrange, c'est cette déclaration presque naïve par contraste avec l'usage récréatif du cannabis. Ce monde alternatif de superhéros presque désoeuvrés faute de supercriminels est tout aussi déconcertant.

En additionnant 1 et 1, le lecteur comprend que ces éléments appellent un deuxième niveau de lecture. Ce récit s'apparente également à une allégorie de la vie de Casey et à une profession de foi. Il aime les comics de superhéros, et sa profession de scénariste de comics lui a donné l'énergie et la motivation nécessaire pour faire quelque chose de sa vie, ou en tout cas pour lui donner du sens.

Avec ce point de vue en tête, le lecteur comprend mieux l'empathie générée par ce récit (fort divertissant en lui-même). Joe Casey et David Messina mettent en scène leur amour des comics, l'importance vitale que les superhéros occupent dans leur vie, certainement comme pour le lecteur en train de lire ce récit.

À nouveau, Joe Casey a réussi son pari d'écrire une histoire de superhéros qui respecte et utilise toutes les conventions du genre même les plus absurdes et qui parlent à des adultes. Il évoque sa passion pour le genre des superhéros, sans fard ni honte, en montrant (plutôt que d'expliquer laborieusement) ce qu'il lui apporte, ce en quoi il est vital pour lui. Sous cet angle, même le nom (et les pouvoirs) de cet étrange superhéros par très efficace prend un autre sens : le rebond. C'est l'énergie des superhéros qui permet à son auteur (et au lecteur) de rebondir, de retrouver de l'énergie pour la vie de tous les jours.
Commenter  J’apprécie          20



Ont apprécié cette critique (2)voir plus




{* *}