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Critique de Patsales


C'est un roman brillant que signe ici cet auteur sud-américain. Nous sommes au San Salvador, en 1947, et la dictature du Général Martinez vit ses derniers jours.
Il a pourtant triomphé d'un putsch mal préparé dont il se venge avec une cruauté qui ne s'embarrasse pas de différencier coupables et innocents. Face au dictateur, une famille résiste: Périclès, journaliste d'opposition emprisonné, Clemen, son fils en fuite après l'échec du soulèvement, Haydée, son épouse prête à tout pour sauver les siens.
Or, alors même que la nécessité de se débarrasser du dictateur ne fait aucun doute, Horacio Castellanos Moya décrit ses adversaires avec une ironie ravageuse. Périclès a d'abord soutenu le général et s'il est régulièrement mis en prison, il n'en a pas moins un statut de V.I.P. et son épouse qui lui apporte des douceurs et de l'eau de toilette peut compter sur l'amabilité respectueuse des gardiens. Haydée, justement, va se découvrir une conscience politique nouvelle et l'auteur en fait un beau portrait de femme, émouvante et pugnace, sans oublier de la crucifier efficacement au détour d'un paragraphe: lorsque sa bonne a vu qu'elle était sur le point de s'abandonner à une haine peu chrétienne, elle lui « a préparé du tilleul ». Lorsque son dernier fils tarde à rentrer alors que le couvre-feu est de rigueur, Haydée se désole de ne pouvoir manger de gâteau au chocolat « pour adoucir l'attente de Betito ». Quant à Clemen, il a peut-être participé au putsch révolutionnaire, mais son portrait est fait au vitriol: alcoolique, érotomane, peureux, imprudent, hâbleur, il est d'un ridicule achevé. C'est que le général et ses sbires, comme le journaliste et sa famille, appartiennent au même monde. D'ailleurs un des moments les plus drôles du livre voit ce cher Clemen apprendre qu'il a été condamné à mort et s'en étonner. Comme si, finalement, il ne s'était agi que d'un jeu dont les conséquences fâcheuses pouvaient être suspendues à la faveur d'un « Pouce » enfantin propre à rabibocher les anciens adversaires.
La première partie du livre s'arrête sur la joie des insurgés qui ont enfin renversé le « sorcier nazi ». Mais nous découvrons ensuite Périclès, 30 ans après, vieux et seul, parti en exil car le cycle des dictatures ne s'est pas interrompu. Sa femme est morte, il méprise ses enfants et se déteste lui-même de s'être détourné de Clemente qui, lui aussi, est décédé. Finalement, plus que les dictateur, c'est la mémoire qui est tyrannique, cette souffrance d'être soi, dont la lutte politique veut nous divertir. Peut-on être révolutionnaire quand on n'est pas étranger au milieu qu'on affirme combattre? Et comment être un bon père quand on n'a à proposer qu'un modèle aussi ambivalent à ses enfants?
On l'aura compris, ce roman subtil et puissant n'est pas le meilleur qui soit si l'on veut croire aux vertus consolatrices de la littérature.
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