L’arbre bleu
Un arbre bleu ordonne l’univers.
Ses feuilles distillent sur la terre pluie ou miel,
et alentour naît un espace indélébile,
la zone où dort l’oiseau réel.
NAVIGATEUR SOLITAIRE
À présent, chaque mille que je naviguerai vers l’ouest
m’éloignera de tout. Pas le moindre signe
de vie : ni poissons, ni oiseaux, ni sirènes,
ni cafard zigzaguant sur la couverture.
Seulement l’eau et le ciel, l’horizon détruit,
la mer, qui chante toujours comme moi la même chanson.
Ni poissons, ni oiseaux, ni sirènes,
ni cette étrange conversation sur la sentine
que perçoit l’oreille aux heures de calme.
Seulement l’eau et le ciel, le roulis du temps.
La nuit, l’étoile Achernar apparaît sur la proue ;
entre les haubans, Aldébaran ; à tribord,
un peu plus haut que l’horizon,
le Bélier. Alors j’amène, je dors. Et le néant,
avec délicatesse, vient manger dans ma main.
Épître
Les Juifs demandent des signes, les Grecs de la sagesse,
mais moi je dis : Devenez fous.
Où est le sage, où est le scribe ?
La lumière du monde a été escamotée.
Êtes-vous aveugles ?
Réjouissez-vous de votre cécité.
Êtes-vous sourds ?
Réjouissez-vous de votre surdité.
L’aveugle a été choisi pour tout voir,
le sourd pour entendre l’inaudible.
Oui, devenez fous.
Car tous les yeux ont été voilés
et nous voyons seulement ce que nous ne voyons pas,
toutes les oreilles ont été scellées
et nous entendons seulement ce que nous n’entendons pas.
Voulez-vous des prodiges ?
Devenez fous.
Voulez-vous de la connaissance ?
Devenez fous.
Car à saisir l’Insaisissable
les mains se brisent,
à toucher la Vérité
la raison s’enflamme.
Devenez fous.