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Critique de michfred


Encore une fois, je reviens à Javier Cercas que Pecosa, avec tout son talent, m'a fait apprécier. Il me reste deux livres traduits en français à découvrir : A petites foulées, son premier roman, et A la vitesse de la Lumière, que je viens d'achever.

Une fois de plus Javier Cercas m'a touchée en plein coeur, malgré son phrasé tortueux qui fait penser qu'on visite la coquille d'un gastéropode.

Je suis en effet entrée dans le récit « à petites foulées », circonspectes, et j'ai été soudain emportée à grandes embardées, « à la vitesse de la lumière », à la vitesse de l'émotion, malgré la distance clinique que Cercas introduit toujours entre lui et son sujet, malgré cette ironie, cette cruauté, cette objectivité d'archiviste qui lui permettent de se prendre pour point de départ, point de vue et point de mire de presque tous ses récits sans jamais sombrer dans l'exhibitionnisme ou le narcissisme, sans qu'on se sente jamais tenté de qualifier ses livres d'autobiographiques, alors qu'il le sont quasiment tous, à un degré ou à un autre.


Le début, malgré le titre fulgurant, est, comme souvent chez Cercas, tâtonnant: il met lentement en place la vie de bohême, les amis artistes, les rêves d'avenir, la peur de l'enlisement dans la ville provinciale de Gérone, la tentation de Barcelone, les interminables discussions dans les petits bistrots enfumés, quand tout à coup, comme une trouée dans le brouillard, éclate, pour le narrateur , l'opportunité inespérée d'un poste d'assistant d'espagnol à la faculté américaine d'Urbana.

Mais une fois à Urbana, le récit à nouveau tâtonne, tourne , littéralement autour du sujet, car le narrateur, apprenti – romancier, y fait la rencontre d'un ancien vétéran du Vietnam, plein de silences et de culpabilité, Rodney Falk, un fin lettré, amoureux de Hemingway mais le coeur à jamais en enfer. Cercas verrait bien Rodney en sujet de son prochain roman, si le sujet, décidément récalcitrant, ne lui glissait entre les mains.

Retour à la case Barcelone. Cercas s'est mis à écrire et à publier. Son premier livre qui porte un regard caustique sur l'université américaine- Rodney n'y apparaît qu'en silhouette- passe inaperçu, mais le second, Les Soldats de Salamine, est accueilli par un succès fulgurant, foudroyant, qui fait sauter toutes les digues : griseries d'ego, bouffées d'orgueil, inlassables beuveries, folle fatuité, honteuses trahisons…Tant d' Hybris attire les foudres du destin qui fond simultanément, à la vitesse de la lumière, sur l'auteur qui a oublié l'homme qu'il était et sur son (futur) sujet qui ne peut oublier, lui, l'homme que la sale guerre vietnamienne a fait de lui. Sur celui qui , en Espagne, est en train de perdre son âme et celui qui , en Amérique, ne peut malgré tous ses efforts la retrouver tout à fait.

Une étrange symétrie s'imprime dans les dernières pages de ce récit entre celui que l'écriture a failli perdre et celui que le silence, plus que la parole tardive, a perdu.

Bouleversante conclusion, qui évite tous les pièges de la facilité ou du romanesque et retrouve le chemin de l'amitié vraie, de la simplicité, du réconfort.

On ferme ce livre à la fois tâtonnant et fulgurant, le coeur serré.
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