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Critique de berni_29


Le bruit du monde, roman concis de Stéphanie Chaillou, est la chronique presque ordinaire d'une femme que nous rencontrons la première fois au bord de l'enfance. Et puis nous allons la suivre, de page en page, dans ces tranches de vies qui vont la faire passer d'enfant à femme, son itinéraire de vie, à la fois personnelle et sociale.
Marie-Hélène Coulanges, dite Marylène, est née le 18 juillet 1964 dans une famille pauvre. C'est par cette petite phrase anodine et qui reviendra régulièrement dans le récit comme une litanie, que nous faisons connaissance avec le personnage principal du roman. Marylène vient en effet d'un milieu très pauvre. Nous sommes dans la France profonde, la France rurale, oubliée... Elle vient d'un endroit perdu au fond de sa mémoire, avec des cabanes en bois, des cours de récréation, des blouses grises, la nappe en fleurs sur la table, de la brume au fond du paysage qui fige immuablement les arbres, les personnes et les choses... Elle en a honte, elle grandit dans cette honte.
Le récit est sobre, va à l'épure. Point d'émotion ici, ou plutôt c'est une émotion contenue, retenue, un peu comme une digue qui retient un morceau d'océan.
L'auteure va à l'essentiel, sans détour, le rythme est saccadé, ne laisse pas de place à l'égarement des mots. Parfois j'ai trouvé l'ambiance du récit implacable, se déroulant comme de manière un peu froide.
Marylène est une voix en chuchotement, comme venant d'une arrière-cour ou d'une arrière-saison.
Ici les premiers désenchantements sonnent comme des fausses notes dans l'élan de la vie, des notes discordantes qui font trébucher les pas. C'est triste, c'est douloureux lorsque cela renvoie à des choses que vous avez pu connaître vous-même sur les bancs de l'école...
Pourtant, à des moments du récit, j'ai senti cette envie de Marylène de tordre le cou à son destin qui semble tracée comme une droite rectiligne implacable, une envie de quitte la brume de son paysage, de s'envoler, une envie de s'éprendre de liberté, ce récit est celui d'une quête, d'un devenir, d'une tentative de déracinement...
Dans le bruit du monde, il y a des chemins perdus, des rêves blessés, une voix qui se heurte à des murs, qui tente de les franchir, de les gravir, puis retombe et s'en va dans la brume du paysage. Puis recommence...
Comment passer d'une rive à l'autre ? L'ancien monde, celui d'où l'on vient inéluctablement, et l'autre, celui tant convoité, celui de tous les possibles et en même temps que nos hésitations rendent parfois impossible. Où se trouve la barque, bon Dieu ? Je tenterai de dire : où se trouve la barque, Bourdieu ? Y-a-t-il en effet une telle fatalité dans la sociologie des villes et des ruralités qu'il soit impossible de passer d'un versant à l'autre ?
Elle rêve, elle désire... Et puis une main invisible semble la retenir au dernier moment pour la faire revenir à la triste réalité de sa condition sociale, ou plutôt de ses origines sociales.
C'est un peu comme si Marylène errait sur cette barque fragile, à la dérive entre deux mondes...
Elle lutte, mais dispose-t-elle des clefs pour lutter contre elle-même ? Le rivage n'est pourtant pas éloigné...
C'est un livre qui m'a laissé un goût étrange au fond de moi, sans doute à cause de cet égarement, de cette barque où l'on ne sait pas s'il est possible un jour d'atteindre le rivage tant convoité. Quelque chose m'a gêné dans le propos du récit, non pas cette honte poisseuse qu'elle évoque en parlant du milieu social dont elle vient, mais davantage ce déterminisme qui coupe les ailes de Marylène au surgissement de sa jeunesse, cet empêchement comme une fatalité d'être capable de capter le bonheur en plein vol. Et puis un questionnement : d'où vient réellement la douleur de Marylène ? Est-ce vraiment de son milieu social, ou bien d'autre chose ?
Dans le bruit du monde, il y a aussi des abimes de silence, des choses qui ne se diront jamais...
Je me suis demandé par moment si ce récit n'était pas autobiographique, tant l'écriture se déroule sous nos doigts avec une si grande justesse.
Ce livre m'a laissé un goût étrange au fond de moi, peut-être parce qu'il me renvoie à quelque chose que j'ai vécu.
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