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Critique de Presence


Ce tome fait suite à L'éveil. Ces 2 tomes forment une histoire complète. Il contient les épisodes 4 à 6, initialement sérialisés par l'éditeur IDW aux États-Unis, en 2015. Le scénario est de Pierrick Colinet, les dessins, l'encrage et les couleurs d'Elsa Charretier.

À la fin du tome précédent, Teddy était placée devant un choix drastique pour sauver Ano. Elle a décidé de faire front et de se rebeller contre l'autorité assurant la correction des altérations temporelles, et plus généralement contre l'ordre établi. Pour ce faire, elle créée sciemment des anomalies temporelles, espérant ainsi que l'exécutif du pouvoir en place se manifestera et qu'elle pourra plaider sa cause.

Teddy finit par être reçue par Tina (sa cheffe), en présence de Noel Spender & Leon Prospekt (2 autres agents de terrain, déjà vus dans le tome 1). Après une discussion houleuse et violente, elle apprend qu'il y a peut-être un espoir : un centre de stockage des anomalies.

Le premier tome avait laissé une marque indélébile, à la fois pour des dessins très séduisants, des compositions de page conceptuelles, et un récit à la sensibilité génératrice d'une forte empathie. Le lecteur retrouve avec plaisirs les dessins d'Elsa Charretier, toujours aussi charmants et enjoués. En guise de transition, chaque chapitre est précédé de 4 pages (sauf le 4, avec seulement 3 pages) hors narration, montrant Teddy en train de se tourner et de courir dans une première page avec 4 cases, puis un dessin en double page et à nouveau 4 cases sur la dernière. Ces intermèdes constituent un très bel exemple de l'expressivité des personnages, et de la façon dont l'artiste sait donner l'impression du mouvement, dans une forme de prise de vue au ralenti.

Ensuite, le lecteur observe avec plaisir que le duo d'auteurs continue de concevoir des constructions de planches ou des effets spéciaux, venant rehausser la narration visuelle du récit. Par exemple l'ouverture de l'épisode 4 déconcerte un peu, avec sa planche noire, dans laquelle seuls quelques rectangles permettent de voir ce que recouvre ce rideau noir. Dès les pages suivantes, le lecteur comprend que ce dispositif visuel représente les portions de réalités dans lesquelles Teddy provoque des anomalies.

Certaines pages sont mouchetées par des petits losanges jaunes qui indiquent que la réalité perd sa cohérence. Il y a des dessins pleine page où l'héroïne apparaît à plusieurs endroits pour montrer la simultanéité des actions de cette personne capable de voyager dans le temps. Lorsque le récit s'aventure sur un terrain conceptuel, les auteurs ont su trouver des idées pour donner une apparence visuelle aux actions de Teddy qui ressortent pourtant plus de l'ordre du psychologique et du mental (en particulier dans l'épisode 6).

Les personnages disposent d'une apparence toujours aussi sympathique. Teddy présente toujours des formes généreuses au niveau des hanches et de la poitrine, sans que cela n'en devienne une forme d'hypersexualisation ou de titillation gratuite, il s'agit juste de sa morphologie. Son langage corporel traduit bien son état d'esprit, sa volonté d'avancer, et de faire progresser les choses. Son visage est toujours aussi mignon. L'artiste utilise un trait gras et modulé pour les sourcils, des traits tout en courbes pour les cheveux, des lèvres représentées par 2 traits noirs épais, striés de quelques traits, et un nez discret. Il s'agit d'un visage d'une jeune personne, épuré, mais sans tirer vers le jeunisme, plutôt vers une élégance intemporelle. Cela devient manifeste lors de la page où Teddy apparaît adolescente, visiblement plus jeune que dans le temps présent.

Les autres personnages arborent une prestance tout aussi élancée, à commencer par ces messieurs, dont la morphologie est assez similaire de l'un à l'autre, avec un large torse. Il y a quand même des personnages qui sortent du moule : Andromeda visiblement plus jeune, avec un corps pas encore formé, Tina avec une morphologie plus massive (et des jolies lunettes dont la monture forme le symbole de l'infini, un huit couché). Il est d'ailleurs surprenant que les auteurs aient choisi de faire incarner le conservatisme dans une femme noire bien en chair.

Elsa Charretier a également fort à faire en ce qui concerne la représentation des différents environnements. Le lecteur apprécie de pouvoir visiter une rue newyorkaise aux façades de briques (même si le rapport de largeur entre la chaussée et les trottoirs surprend), la douce chaumière hors du temps de Teddy, la salle de bain immaculée d'Ulysse Borges, la cuisine de la mère de Teddy, ou encore l'intérieur du centre de stockage des anomalies, tous présentant un aménagement et des accessoires spécifiques. Il reste plus dubitatif devant l'apparence extérieure du centre de stockage des anomalies (une sorte de plateforme offshore dont la forme semble avoir été choisie arbitrairement), le dépouillement du bureau de Tina.

Dans cette deuxième moitié, Pierre Colinet change un peu le fond de sa narration. Ce qui avait commencé comme une aventure doublée d'une belle histoire d'amour, dans un contexte de voyages dans le temps, devient un récit plus militant. Dès la première séquence, Teddy se rebelle contre l'ordre établi, pour sauver l'amour qu'elle porte à Ano. Cet ordre établi s'incarne en la personne de Tina dont une banderole placé haut au-dessus de son bureau apprend au lecteur que le nom signifie There Is No Alternative, un slogan attribué à Margaret Thatcher pour justifier sa politique conservatrice et néolibérale (précisé par l'auteur en fin de volume). Dans le cadre de ce récit, ce slogan justifie une normalisation stricte des rapports humains, pour préserver la stabilité de la société.

Au fur et à mesure de la progression dans ce tome, le discours militant occupe plus de place, aux dépends des personnages et d'une partie de l'aventure. Les actions de Teddy deviennent plus conceptuelles, moins concrètes. Alors que le lecteur aurait pu craindre une narration phagocytée par les bonnes intentions, le scénariste conserve l'impulsion de départ en nourrissant son récit d'autres éléments. Il ne se contente pas de militer en faveur d'une rébellion de principe contre les contraintes générées par toute forme de société ; il pioche dans l'Histoire pour donner des exemples concrets et nourrir la réflexion.

En intégrant des faits historiques, l'intrigue prend une autre dimension, certes militante, mais aussi très concrète. Il ne s'agit pas d'aligner des poncifs et des vœux pieux sur la diversité et sur le combat pour la liberté, mais de montrer comment l'engagement individuel contribue à faire évoluer la société. Dans un premier temps, le lecteur peut sourire à l'inclusion d'un personnage transgenre (genderqueer) parachuté au beau milieu de l'intrigue. Néanmoins il revoit sa position au vu des personnalités citées par la suite. Certaines sont faciles à reconnaître comme Harvey Milk, ou Malcolm X, d'autres n'ont rien d'évident tout en étant pertinentes. Heureusement, Colinet a pensé à ses lecteurs moins impliqués et les pages de fin explicitent qui sont les figures historiques moins accessibles comme Emmet Till, le révérend James Reeb, Susan B. Anthony ou encore Qiu Jin. Évidemment le lecteur peut aussi sourire au fait que des individus de nationalité étatsunienne soient inclus de manière proéminente (parution initiale en anglais oblige), mais leur présence est pertinente et la diversité géographique est bien présente dans ce panel de militants.

Les auteurs évitent la facilité d'un personnage principal sûr de son bon droit se dirigeant vers une décision aussi inéluctable qu'évidente et bénéfique pour tout le monde. Teddy est mue par un objectif très égoïste, et met en jeu la vie de tout le monde. En cela, elle endosse la responsabilité que les militants de tous les jours endossent également en s'exposant, et en exposant leurs proches.

Le tome se termine par 2 pages de courriers des lecteurs racontant comment ils ont pris conscience de leur homosexualité ou de leur sexualité différente de la majorité, 4 pages de présentation des personnages historiques sous forme de frise (avec également le résumé de l'incident de Stonewall Inn), 6 couvertures variantes (3 d'Elsa Charretier, 1 de Gérald Parel, 1 de Laurent Lefeuvre, et 1 d'Eli Powell, ainsi que 3 pages de crayonnés (2 conception des personnage, 1 de construction de la couverture du présent tome).

Ce deuxième tome clôt ce que le lecteur espère être la première histoire consacrée à Teddy, personnage si attachant dans son apparence et dans ses actes. Les dessins et les mises en page d'Elsa Charretier sont toujours aussi séduisants et inventifs. L'intrigue évolue naturellement vers un discours militant sur la tolérance (déjà sous-jacent dans le premier tome), nourri par des références concrètes, mettant en évidence l'importance déterminante de l'engagement personnel. S'il fallait vraiment trouver un défaut à cette deuxième partie, c'est qu'il n'y a pas de texte de Katchoo Scarlettinred.
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