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Critique de deidamie


« Re dola re dola re dola re… youyouyouyouyouyou!

-C'est quoi ça, encore?

-C'est l'une de mes chansons préférées de Devdas! Un film chantant, chatoyant, éclatant, étincelant, dansant… bref ! j'adore ce film, j'ai donc décidé de lire le roman.

-La tenue du jour, là, en revanche, ça va pas le faire…

-Pourquoi ? En hommage à mon perso préféré, Chandramukhi, j'ai mis un sari vert avec quatre kilos de bijoux dorés. Ca me va bien, non?

-Hahaha ! On dirait un fromage blanc déguisé en sapin de Noël !

-Ah bon ?

-Oui. Et c'est pas seulement parce que je suis la méchante, hein. T'es ridicule, comme le film.

-Bon… ben… je vais me changer, alors… commence l'intro pendant ce temps !

-Pffffff… Bonjour les moches, aujourd'hui, c'est la critique de Devdas, un roman publié en 1917 par monsieur Sarat Chandra Chatterji. Ce roman raconte l'histoire d'amour impossible entre Paro, une jeune fille, et Devdas, un garçon d'une caste plus élevée qu'elle.

Et pendant que gentille Déidamie se bat avec ses fringues, j'en profite pour adresser un message à la maison d'édition qui a commis ce livre.

Sérieusement, Les Belles Lettres, c'est quoi votre problème ? Vous ne voulez pas que les gens achètent le livre ? Dans ce cas, vous ne le publiez pas ! Ou alors avec un bandeau « ne m'achetez pas s'il vous plaît, je suis là juste pour la déco » !

Alors, comme vous autres les internautes n'êtes au courant de rien, je vais expliquer le pourquoi du comment. Nous avons acheté l'édition électronique du roman. Pour ce faire, nous nous sommes connectées à un site spécialisé. Et là, paf !

La conclusion du texte. LA P**** DE CONCLUSION DU TEXTE !!! Là comme ça, sans spoilers, sans rien ! Je suis allée visiter une célèbre plateforme commerciale, et bim ! la fin du texte aussi ! La fin du texte partout !

Les Belles Lettres pourraient me répondre que ça n'a aucune importance, qu'on peut impunément balancer la conclusion, puisque Devdas est similaire à une tragédie : toulmonde connaît l'histoire, toulmonde connaît la fin, surtout si comme gentille Déidamie on n'a vu le film « que » 246 fois.

Et ben, je ne suis pas d'accord ! Non, pas toulmonde ne connaît l'histoire, et quand bien même on la connaîtrait parce qu'on a vu le film, ledit film ne donne pas précisément la dernière phrase. Et ça me rend furieuse, ce genre de pratique !

Les Belles Lettres, vous mériteriez que je vous raconte la fin de Stranger Things ! Méfiez-vous quand sortira la saison 4 !

-Voilà, je suis rhabillée ! Un pantalon, un bon vieux T-shirt souple, et on repart. La première chose que j'ai remarquée dans le roman…

-Ouiiiii ?

-Hé bien, il est bien plus court que le film. Et l'action se déroule dans un milieu qui a l'air bien plus modeste. Point de palais pharaoniques ni de décors somptueux.

-Bon, Déidamie, sans blague ? C'est nul ce que tu nous sors, là ! Je vais te dire, moi, la première chose remarquable : l'histoire d'amour ne possède strictement rien d'émouvant !

-Mais si, euuuuh… c'est un classique en Inde, un peu comme notre Roméo et Juliette, il doit bien y avoir de l'amour quelque part…

-Pfeuh ! Tu parles ! Devdas est une sale petite brute et Paro une fille qui l'idolâtre. le seul mérite de cette histoire, c'est d'enseigner aux gens la recette de la violence conjugale : une bonne mesure de machisme, une grosse dose de mépris, ajoutez quelques kilos de violence verbale, quelques mesures de dépendance, tapez dur chaque fois que l'idée vous en prend et vous obtiendrez votre couple toxique. C'est ça, la belle histoire d'amour qu'on te vend ? Ecoute, il y a bien à dire sur le Moyen Age, mais Tristan, j'ai pas souvenir qu'il maltraite Iseut ! Et c'est un classique de l'amour ! Et il n'a pas été rédigé en 1917 !

-Au moins, le film est mieux… Je trouve que la psychologie des familles est plus intéressante.

-Ah oui, le film est plus agréable. Il édulcore beaucoup de choses et remplace la violence de Devdas enfant par des chansons sur le viol* qu'on te présente comme des histoires d'amour, c'est mieux, en effet. Quant à la drague de Devdas dans le film, elle est très agressive. Il la méprise, il la blesse pour la consoler ensuite, et certains gestes qu'il a envers elle révèlent une violence sourde qui ne demande qu'à éclater. Et elle éclatera, d'ailleurs. Bref, sexisme tout le temps.

-En tout cas, dans le roman, Paro se montre courageuse et prête à tous les sacrifices pour son amour, et ça, c'est beau ! Elle agit de son propre chef au mépris de toutes les conventions, parce que son amour rend sa conduite évidente et digne !

-HA !

-Quoi, « HA » ? le roman questionne la place des femmes et les injustices qu'on leur fait, non ?

-Oui. Avec la même dureté que celle d'une glace à la vanille bronzant au soleil un jour de canicule.

Devdas est un roman écrit par un homme pour un homme : le héros. le narrateur ne s'intéresse aux personnages féminins que le temps de leurs actions qui font avancer son roman. Une fois qu'elles ont joué leur rôle dans l'histoire, elles disparaissent, tout simplement. Il ne reste plus que la compassion que l'on est censé éprouver pour ce pôvre Devdas tout malheureux qui maltraite les femmes amoureuses de lui.

Tu parlais du courage de Paro ? Je te l'accorde, elle affronte les situations au lieu de les nier ou de les fuir. Toutefois, son amour ne l'élève pas excessivement au-delà des normes sociales : tout son courage, toutes ses vertus, elle les offre à Devdas pour devenir sa servante. Chandramukhi non plus ne conçoit pas l'amour autrement. Les femmes aimantes servent et subissent, l'homme prétendument aimant frappe, insulte à loisir.

Et ce qui me scandalise, c'est que le narrateur prend lui-même parti pour Devdas.

-Peut-être qu'il prend parti pour lui parce que le perso se gâche lui-même en blessant ses deux amours, et qu'il est plus pitoyable qu'autre chose ?

-C'est un point de vue… par lequel je ne suis pas convaincue. Bref, on met tout, le film, le roman, à la poubelle !

-Ah non !

-Tu as raison. On balance tout par la fenêtre !

-Non, je ne suis pas d'accord. Ecoute, j'ai bien compris que tu n'aimais pas l'angle de l'histoire. J'ai compris que tu trouves les deux oeuvres malsaines. Mais non, on ne jette pas.

-Et pourquoi, Mme J'aime-les-niaiseries ?

-Parce que film comme livre représentent des oeuvres d'art. le film pour la musique et les danses extraordinaires, le jeu de Madhuri Dixit qui me fascine toujours malgré le passage des années. le livre pour sa poésie et sa violence. Oui, la violence aussi, bien plus appuyée dans le texte. Certains détails du roman relèvent presque du documentaire : les passages sur le mariage et son déroulement, l'âge de Paro (treize ans, comme Daenerys), les phrases sur la condition de Chandramukhi…

Devdas présente un paradoxe étrange. J'ai eu le sentiment de lire un texte complètement démodé et pourtant toujours d'actualité. Démodé, parce que je ne peux pas sincèrement compatir avec cette brute de Devdas. Toujours d'actualité, parce que les femmes qui endurent et subissent mille avanies au nom de l'amour qu'elles vouent à leur partenaire se rencontrent encore aujourd'hui.

Devdas doit être vu. Devdas doit être lu. Comparer les deux versions, comprendre les choix scénaristiques du film offre un plaisant exercice. Et surtout, Devdas doit être critiqué. »

*C'est pas moi qui le dis, ce sont les sous-titres. Dans ces chansons, Krishna rencontre Radha, lui déclare sa flamme et son désir et elle essaie de se refuser. Bien entendu, Krishna n'en a cure. Ai-je vraiment besoin de vous dire comment ça se finit ?
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