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On peut affirmer sans danger que la poésie de Chavée recourt à un langage dépouillé de toute prétention à produire des «effets littéraires». À côté d'une virtuosité déconcertante dans l'art de décocher la formule percutante, de jongler avec les mots et les images singulières, Chavée s'encombre parfois de termes philosophiques qu'on croirait sortis tout vifs d'un traité poussiéreux de slogans perdus. Dans nombre de poèmes, il adopte un ton d'une sincérité et d'une authenticité bouleversantes, que, seuls, les plus grands ont atteint (cf. Exhortations). Son art est fait d'une réflexion lucide et désespérée sur l'existence humaine. À travers ses textes, la vie apparaît comme une galère de misère, comme un destin fatal qui nous conduit vers le néant, mais trouve sa signification à la mesure de la révolte, de la rébellion de l'homme contre ce malheur inéluctable (cf. Par le trou de la serrure). Sa poésie exprime de nombreux refus, refus de soi-même, refus des institutions et des conventions littéraires, dans la mesure où il les croit source d'injustices consacrant l'oppression des plus faibles. «Chavée crevait de rage dans sa peau devant la misère de son pays et de son peuple», écrit Pol VANDROMME, pourtant peu suspect de propagande ou de sentimentalisme à caractère social Chavée se révolte aussi contre la laideur des villes, de leur banlieue, contre l'ennui et la trivialité du quotidien. Il traque l'insolite et le mystère, là où nous l'attendons le moins. Expression de la révolte, sa poésie ressemble au sursaut désespéré de la bête prise au piège. On y perçoit un cri pour retrouver une innocence, un amour, un absolu venus d'un ailleurs inconnu et à jamais perdu. Tour à tour, cette révolte s'exprime de façon émouvante, humoristique et drôle, ou sarcastique. Avec les mots les plus simples et parfois les clichés les plus usés, il parvient à métamorphoser le langage et à suggérer que l'apparente sagesse du jour n'est que façade qui se lézarde et masque une réalité plus amère, pétrie d'atrocités devenues, à force d'habitude, invisibles (cf. Hodie). Paul ROLAND http://www;servicedulivre.be |