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Critique de Presence


Ce tome est le quatorzième dans une série qui en compte 19, et qui forme une histoire complète ; il vaut mieux avoir commencé par le premier tome. Il est publié dans le sens japonais de lecture (de droite à gauche), en noir & blanc. Il a été réalisé par le collectif Clamp : Nanase Ōkawa, Mokona, Tsubaki Nekoi, et Satsuki Igarashi. Initialement ces 19 tomes ont fait l'objet d'une prépublication de 2003 à 2011, au Japon.

Ce tome est découpé en 7 parties. Partie 1 - Kohané a été recueillie par la voyante âgée (rencontrée dans le tome 2). Watanuki rend visite à la jeune demoiselle et lui apprend à faire la cuisine, en préparant un ragout d'épinard, avec des boulettes à la viande. Partie 2 - Watanuki et Dômeki papotent en rentrant vers la boutique de Yûko. Partie 3 - Une nouvelle cliente a fait son entrée à la boutique et formule son voeu devant Yûko : elle veut apprendre à cuisiner. Yûko désigne Watanuki comme instructeur.

Partie 4 - Avec Mokona dans son sac, Watanuki va donner la première leçon de cuisine à la nouvelle cliente, dans sa gigantesque demeure. Ils préparent des pommes de terre à la sauce soja. Partie 5 - Deuxième leçon de cuisine, ils préparent des nems au potiron. Partie 6 - Yûko s'adresse à un interlocuteur invisible pour le lecteur, et elle explique qui est vraiment Watanuki, révélant presque tout de ses origines. Partie 7 - Yûko rencontre Hakura (le grand-père de Dômeki).

Alors que le lecteur a bien ressenti le fait que les événements commencent à converger en vue d'une résolution approchante, les Clamp continuent de le balader à leur guise. Certes il y a bien une architecture narrative que le lecteur peut ressentir, c'est-à-dire qu'il a la conviction que le récit va quelque part. Depuis le premier tome, le récit est centré sur Watanuki et les changements survenant dans sa personnalité, au fur et à mesure des rencontres qu'il fait et des épreuves qu'il surmonte. Toutefois, les Clamp donnent l'impression d'alterner les enquêtes liées aux clientes de la boutique, avec des rencontres surnaturelles, en fonction de leur bon vouloir. Des fois, au détour d'une de ces histoires, un personnage (Yûko ou Mokona) lâche des révélations sur Watanuki ; d'autres fois les rêves prennent le dessus avec des apparitions de Sakura et Shaolan. Qu'est-ce qui guide une phase plutôt qu'une autre ? Mystère.

Le lecteur a également bien intégré que les Clamp utilisent avec adresse les spécificités des mangas, à commencer par l'importante pagination. Cela leur permet de montrer les personnages en pleine discussion des pages durant, tout en ne dessinant essentiellement que leurs bustes. D'un côté, il s'agit d'une mode narratif conventionnel bien établi dans les mangas ; de l'autre cela peut devenir lassant quand il n'y a pas d'action à proprement parler pour contrebalancer ces longues séquences. À la longue, voir de jolis minois faire des observations plus ou moins profondes peut créer une forme de manque d'intérêt visuel. Par contre, dès que les Clamp s'intéressent aux décors ou aux arrières plans, la narration prend une épaisseur remarquable.

Encore une fois bien obligé de soumettre aux caprices narratifs impénétrables des auteurs, le lecteur se soumet à ce rythme indolent, et à ces alternances déroutantes et imprévisibles, entre clientes de plus en plus rares, cuisine, papotages, et révélations. Il apprécie les pages disposant de décors, toujours soignés et immersifs quand ils sont présents, ainsi que les toilettes de Yûko, toujours raffinées et élégantes.

Pour la narration, le lecteur est balloté d'un thème à l'autre, sans autre fil conducteur que Watanuki. Cela commence avec le personnage de Kohané, prise en charge par la voyante, fortement attachée à Watanuki, se rapprochant de Dômeki, puis laissé derrière quand le chapitre suivant passe à autre chose. Une nouvelle cliente : pourquoi pas ? Sa fonction est claire : apporter des ingrédients pour le développement du thème de la cuisine. Puis Yûko fait un point d'étape pour le bénéfice du lecteur (au cas où il aurait oublié le deuxième oeuf), avec des révélations majeures sur Watanuki. Pourquoi à ce moment là, plutôt qu'à un autre ? Mystère.

Le lecteur retrouve également la petite touche couleur locale : le 1er avril, on retire le coton qu'on avait mis pour rembourrer son kimono. À nouveau le lecteur occidental est bien en peine de pouvoir dire si cet élément de folklore est totalement délirant, ou s'il est bien connu de tous les japonais. Il a également le plaisir de voir le motif du papillon réapparaître dans la dernière partie, évoquant à nouveau la fragilité des individus. Watanuki se passe toujours de ses lunettes.

À la fin du tome, le lecteur essaye de se faire une idée structurée de ce qu'impliquent les révélations de Yûko, en vain car les éléments sont trop éparpillés. Il a surtout une vision plus claire des convictions des Clamp sur la cuisine, grâce aux déclarations des personnages.

- Yûko : Manger est une forme de plaisir à part entière ; de ce fait, ça peut être très effrayant.
- Dômeki : au travers de sa cuisine, rien n'émanait de la personne qui l'avait préparée. Aucun sentiment ne s'en dégageait.
- Dômeki : ta cuisine à un goût bien particulier.

Dès le premier tome, Watanuki montrait des talents culinaires indéniables. Il apparaît ici que cette facette de sa personnalité n'a rien de fortuite, qu'elle découle de son histoire personnelle, et qu'elle revêt une importance majeure. Les Clamp jouent avec un autre concept, celui des mémoires cellulaires. Ainsi Mokona explicite le principe des souvenirs de l'esprit et des souvenirs du corps : "Parfois, si l'esprit oublie une chose, elle peut quand même rester gravée dans le corps". C'est ainsi que le corps de Watanuki exprime des souvenirs que sa conscience a réprimés ou oubliés. Les Clamp semblent quitter le domaine de la philosophie, pour poser le pied dans un New Age vaseux.

À l'issue de la lecture de ce tome, le lecteur éprouve le sentiment de frustration habituel : des dessins pas toujours suffisants, et une intrigue pleine de détours, au point d'en paraître inexistante. le lecteur referme ce volume et s'aperçoit que le mystère entourant le comportement de la cliente n'a pas été résolu. Malgré tout, cette lecture conserve son potentiel de divertissement, grâce à l'amour que les auteures portent à leurs personnages, grâce à la réelle amitié qui existe entre eux, et grâce à des révélations brutales qui viennent maintenir l'intérêt pour l'intrigue globale. Enfin, au détour d'une séquence, il peut émerger une émotion d'une rare intensité, ou un sens déconcertant. Par exemple, le lecteur est presque gêné de voir Dômeki faire sa déclaration à Watanuki, en reconnaissant qu'il aime sa nourriture. Après les points de vue échangés sur la cuisine, il s'agit d'une déclaration aussi sensuelle que torride, porteuse d'un sentiment d'amour troublant.
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