AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de mylena


Bientôt un mois que j'ai reçu ce livre, dans le cadre d'une masse critique. Ce livre, je crois bien que c'est le seul que j'avais demandé. Il faut dire que je venais de lire une ou deux semaines avant un article rédigé par Karine Clément sur la situation en Russie, et que cet ouvrage était mentionné dans l'encadré présentant l'auteur de l'article. C'est peu dire que je tenais à lire ce livre. Une fois la lecture commencée, j'ai réalisé que c'était un ouvrage très universitaire dans sa forme, ce qui ne rend pas la lecture aisée. D'autre part cet ouvrage date de janvier, autant dire, vu les événements actuels, une éternité, un autre monde. Et puis, comment parler de ce livre sans commenter son contenu, donner son avis ou sans spoiler ? Extrêmement difficile. Pour la forme j'ai été un peu déçue, j'aurais apprécié plus d'extraits d'entretiens retranscrits, même si cela aurait augmenté le nombre de pages, cela aurait allégé une lecture quelque peu ardue en l'état. le sujet est intéressant, plus qu'intéressant, passionnant. Une étude sociologique sur la contestation sociale et le nationalisme qui repose sur un travail effectué moins de deux ans avant l'invasion du pays voisin, je ne suis pas sûre que les historiens trouvent souvent cela sous la main (et j'espère qu'ils pourront avoir accès à la matière première, les transcriptions d'entretien). Toujours est-il que cet ouvrage repose sur une masse de travail d'enquête très conséquent vu la taille de la Russie.
Je vais juste indiquer quelques idées majeures qui ressortent de cette étude :
* le projet nationaliste de l'État et de Poutine est très peu précis : pour l'essentiel il repose sur l'idée qu'il est très positif d'être patriote, sans que pour autant le patriotisme reçoive la moindre définition, ce qui permet à un maximum de personnes d'adhérer sans le moindre débat ni la moindre friction. Ce nationalisme « d'en haut » est vide de toute idéologie (rien sur la composition de la nation, rien sur les droits qu'implique l'appartenance nationale). Il ne reste que l'attachement au glorieux passé historique et à la grande culture russe, ainsi que la défense des valeurs traditionnelles.
* Pour la plupart des Russes le « nous » national s'oppose à un « eux » qui désigne surtout l'Occident, et surtout les Etats-Unis, mais aussi les libéraux. Il n'existe pas de courant qui en appelle à plus d'autonomie nationale par rapport à la mondialisation. Ce qui domine plutôt c'est le sentiment d'une ingérence occidentale dans les années 90 pour imposer des choix politiques. Tous ces sentiments sont susceptibles d'être instrumentalisés par la propagande. Il est notable que racisme et xénophobie sont déconnectés du sentiment nationaliste, le « nous » national ne s'oppose pas à « eux », les étrangers, les musulmans,les …
* L'élite, les gens cultivés, l'intelligentsia, qu'elle soit nationaliste ou antinationaliste, considère que l'immense majorité des Russes accorde une foi naïve à la propagande d'État. Elle fait presque preuve d'une sorte de racisme social. le « nous » s'oppose dans l'élite intellectuelle presque toujours à « eux », la masse passive et moutonnière du peuple. L'intelligentsia de gauche est réduite à la portion congrue et n'est pas non plus tournée vers le peuple, pour elle, tous ceux qui s'appuient sur le peuple sont des populistes, au mauvais sens du terme. La critique sociale de l'intelligentsia ne remet pas du tout en cause l'inégalité sociale mais seulement les critères sur lesquelles celle-ci repose : elle met dans le même sac les « nouveaux riches » et les plus pauvres et souhaiterait une société basé sur le mérite et les capacités intellectuelles ou spirituelles et non sur l'argent !
* le peuple, quand à lui, exprime des opinions qui ne sont pas si éloignées des Gilets jaunes ou des indignés, mais il y a clairement un déficit de mobilisation collective (qui n'est pas dû à un loyalisme moutonnier) lié à un sentiment d'impuissance et à la crainte de voir sa situation matérielle se dégrader s'ils font quelque chose. Il y a par ailleurs une résurgence d'un marxisme vernaculaire qui semblait disparu dans les années 90 et qui réapparaît au fur et à mesure que les structures sociales capitalistes deviennent plus visibles. le peuple s'est aussi plusieurs fois mobilisé à l'échelle locale ou régionale, mais cela n'a jamais été médiatisé et donc tout changement d'échelle ou soutien d'autres régions a été étouffé dans l'oeuf.
Du coup, et là ce n'est pas dans le livre, mais un avis personnel : les russes de base zombifiés qui soutiennent Poutine ne sont probablement pas si loyaux qu'ils en ont l'air, mais le sont juste ce qu'il faut pour qu'une bonne partie de l'intelligentsia soit complètement paniquée, et hélas aussi, renforcée dans son mépris du peuple. Dans l'article de Karine Clément que j'avais lu après l'invasion de l'Ukraine, elle expliquait que les gens qui soutiennent vraiment Poutine sont ceux qui ont connu avec Poutine une trajectoire sociale ascendante (probablement pas si nombreux que ça).
Commenter  J’apprécie          180



Ont apprécié cette critique (18)voir plus




{* *}