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Gingo" est un livre original, déroutant et attachant, comme son personnage principal.
J'ai beaucoup apprécié le début de l'histoire, avec son côté très Black Mirror / Minority Report : jusqu'où peut dériver la technologie ? Qu'acceptera-t-on de sacrifier pour avoir toujours plus de connexion, d'intelligence artificielle qui fasse le travail à notre place et prenne les décisions pour nous ? Et d'un autre côté, si on refuse ces technologies, à quoi se condamne-t-on ?
La Cité Blanche fait rêver au premier coup d'oeil avec sa beauté parfaite, puis fait rapidement peur. Eugénisme, enfants conditionnés, décisions prémâchées, publicité omniprésente... Il n'y a aucun amour dans ces vies, aucune émotion, tout est sous contrôle. Il n'y a que des petits plaisirs creux.
Toute la première partie du roman se situe dans cette ville : Jade, une Bleue, devient la nourrice de deux enfants blancs beaux et sages comme des images.
Jade essaie d'échapper au contrôle omniprésent de l'APR, l'intelligence artificielle qui régente la maison, pour offrir aux enfants un peu de liberté. Pourtant, l'APR devient sensible aux efforts de Jade et se laisse influencer... Mais Jade commet une faute de trop et elle est renvoyée.
Ce passage de l'histoire est déroutant, car on abandonne complètement la première intrigue (on ne saura jamais ce que deviennent les enfants, ni si l'évolution de l'APR a eu un impact sur quoi que ce soit).
La deuxième partie de l'histoire se passe dans la Cité Bleue, où Jade et son mari (lequel est gentil mais remarquablement fade tout au long du roman) adoptent un enfant handicapé, sourd et muet.
La raison pour laquelle les Bleus ne peuvent adopter QUE des enfants handicapés n'est pas très claire, ce qui m'a un peu dérangée.
La fin laisse suggérer que les Blancs ont manipulé des embryons pour modifier leur modèle génétique, mais l'objectif n'est pas clair. Pourquoi faire une étude géante sur un phénomène qu'ils ont eux-mêmes créé ? Gingo grandit et se développe tant bien que mal grâce à l'amour de Jade. Ils forment une famille très touchante, et j'ai beaucoup apprécié cette dimension du roman car c'est la première fois que je voyais ces sujets abordés.
Gingo est un personnage complexe : il est plein de bonne volonté mais il s'inquiète facilement, il est sujet à des crises de colère ou d'angoisse, sa mémoire à court terme fonctionne mal et il a bien sûr des difficultés à s'exprimer. Tout ça lui rend le respect des règles bien difficile. Pourtant, il ne cesse jamais de vouloir bien faire et de faire des efforts. Son parcours est vraiment admirable.
Et... La fin m'a d'autant plus déçue. J'ai trouvé que cette histoire se finissait en queue de poisson, on ne sait pas du tout quoi penser en refermant le livre.
le fait que Gingo arrive enfin à parler est censé représenter une immense victoire... mais apparemment ne sert à rien ? L'avenir qui attend Gingo n'est pas clair du tout. On ne sait pas si Chef, son allié, va réussir à annoncer ses progrès au directeur, ni si ça changerait quelque chose. Gingo est laissé avec les autres Adoptés, qui sont un peu hostiles mais majoritairement inoffensifs (malgré leurs moqueries). Va-t-il tout oublier et devenir comme eux ? Ce serait vraiment un message très décevant.
Sa mère se révolte et lance une révolution des mères. En soi, c'est un beau message, mais j'ai trouvé absurde que ce ne soient que les mères qui se révoltent de cette façon. On dit juste que les pères font grève pour les soutenir. C'est d'ailleurs une constante dans le roman : les mères éduquent les enfants, et les pères travaillent. Pour la parité et le féminisme, donc, on repassera.
Enfin le docteur qui avait soigné Gingo et pressenti qu'il pourrait parler est manifestement dénoncé et condamné pour s'être trop attaché à cet Adopté. Mais... Là aussi, c'est difficile à comprendre. Son APR, qui est censé tout savoir, lui avait prédit un prix nobel de médecine et n'avait pas du tout prévu de telles conséquences. On ne sait pas à la fin si le docteur est mort ou vivant. le tuer pour une découverte scientifique paraît franchement extrême, même pour la Cité Blanche.
Ces défauts sur la fin sont vraiment dommage, car j'avais apprécié le reste du roman mais je reste finalement sur une impression mitigée.
Un dernier mot sur le style : il est très simple, sans fioriture, parfois froid. Ce qui aurait pu me déranger dans une autre histoire mais convient bien à l'atmosphère de "
Gingo".