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Critique de afriqueah


Un bateau sur la Tamise, et Conrad nous régale depuis le début de sa prose unique « le jour finissait dans la sérénité exquise d'un éclat immobile ». Marlow, un marin, commence à parler aux autres, et rappelle que l'Angleterre a été aussi « l'un des lieux ténébreux de la terre » et que les Romains y avaient connu le froid, le brouillard, les tempêtes, la maladie, l'exil et la mort, pas de vin mais l'eau de la Tamise, rien qui convienne à un peuple civilisé, sauf la solitude qui s'agite dans la jungle des marécages. Marlow parle de son voyage initiatique le long du fleuve Congo: Tout petit il avait décidé d'aller dans les pays restés en blanc sur les cartes de son enfance, espaces qui entre temps s'étaient remplis de rivières, de lacs et de noms, et devenus des lieux de ténèbres, comme l'Angleterre pour les Romains de l'époque de César. Les ténèbres ne sont pas géographiques, mais liées au développement inégal de l'humanité. Après un recrutement dans une compagnie française dont Conrad décrit « la maison aussi silencieuse que la maison des morts »il arrive en Afrique Equatoriale, après avoir vu les derniers humains normaux, des noirs, et note « qu'apparemment les Français faisaient une de leurs guerre » bombardant la brousse depuis leur navire, tirant contre un continent, avec toute l'absurdité d'une farce sordide. Cette forfaiture devient morbide, lorsque Marlow débouche dans la vallée des morts et moribonds : comment ne pas voir, au delà du cynisme et de l'ironie, une diatribe féroce contre les européens. Conrad a fait le voyage au Congo, avec un bateau belge et c'est donc un récit presque autobiographique. C'est aussi un conte oral dans un bateau d'une aventure hors norme sur un autre bateau. Un belge habillé de blanc immaculé apparaît, et c'est la deuxième allusion au blanc, la première étant les blancs de l'Atlas. Puis Conrad parle des brouillards blancs qui empêchent la navigation. Dans les trois cas, le blanc est soit une zone qui n'existe pas, soit un paraître hors de son contexte, soit un inconvénient majeur. le belge lui parle de Kurtz, un héros, et ce personnage que nous verrons dans ses dernières heures de sa vie devient le but du voyage pour Marlow, qui découvre par ailleurs le monde du trafic d'ivoire, contre lequel les marchands échangent de produits manufacturés, des rouleaux de cotonnade camelote, des fils de cuivre. L'abominable trafic avec la façade d'une noble mission. Marlow qui a connu le démon de la violence, celui de la convoitise, celui du désir est frappé de voir l'asservissement d'hommes fait par d'autres, avec toute la sottise rapace et sans pitié que cela comporte. Voilà les ténèbres, non seulement celui de la grande jungle, mais aussi celui du coeur de ces colons venus juste gagner de l'argent en en faisant mourir d'autres. Les chercheurs d'or, voleurs sans sens moral, sordides boucaniers, sont pour Marlow / Conrad (même si ce dernier s'est essayé à la recherche de l'or) « insouciants sans hardiesse, avides sans audace, cruels sans courage ». de plus les noirs sur le bateau ne sont pas nourris, on leur donne seulement un peu de fil de cuivre, pour pêcher ou se pendre. Pas étonnant que le cannibalisme sévisse, quand on connaît la torture de la faim. Nous plongeons dans l'intérieur de la forêt vierge du Congo, en suivant le grand serpent du fleuve. Les pages de Conrad m'ont rappelé, par ses descriptions sur la nature exubérante digne de la création du monde, avec toutes les angoisses que génère une terre préhistorique, remplie de dangers, de bruits insolites qui font sursauter, de pourriture de la mangrove et d'éclatement luxurieux de la nature, exactement la grande forêt vierge équatoriale. Expérience unique, cette entrée dans les profondeurs, dans le coeur des ténèbres, j'en ai aimé le lyrisme et le rendu de la petitesse de l'homme dans cette explosion végétale. Sauf qu'aucun animal, que l'on rencontre inévitablement en Afrique centrale, n'est noté. Nous sommes bien dans un conte, pas dans une réalité, et pourtant Conrad réussit par magie à nous donner l'essence de la forêt.
Alors, Kurtz ? Fou ? détraqué surement. le meilleur de tous les chercheurs d'ivoire…. Mais à quel prix ? mettre les indigènes à genoux, dresser des piquets avec des têtes humaines devant sa case, demander et obtenir la plus absolue dévotion de la part des noirs. Si la grande forêt révèle à Marlow son appartenance aux premiers âges de l'humanité, surgissement des forces brutales qui le possèdent, Kurtz semble possédé « le milieu sauvage lui avait murmuré sur lui même des choses qu'il ne savait pas …. et l'avait attaché à lui âme contre âme par les cérémonies inimaginables de quelque initiation diabolique ». Ne jugeons pas moralement Kurtz, ni l'attitude de Marlow, ni donc Conrad, même si l'acceptation de Kurtz par Marlow ne correspond pas à ce qu'il a dit au cours de son récit. Car Kurtz est un être creux, « misérablement enfantin »qui annone des choses sans intérêt, un peu come Marlon Brando dans Apocalypse Now. Mais Conrad, lui, nous offre un voyage initiatique au fond des ténèbres qui sont au coeur de la grande forêt, et aussi dans le coeur des hommes. Peut être veut il nous dire aussi que la vérité que l'on cherche ne se trouve pas forcément, et que l'initiation est ailleurs ?
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