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Critique de tomlarret


En préambule, l'auteur suggère au lecteur la bande originale adéquate pour cette lecture. Si j'imagine sans peine que les rythmes d'Enio Morricone s'accordent à merveille avec l'ambiance qu'il pose, j'ai quant à moi opté pour une compil' Aya Nakamura chante Bruel, par pur esprit de contradiction sens de la fête. C'est donc prête à me casser la voix (mais en catchana) que j'ai embarqué pour un éprouvant voyage dans les Black Hills de la fin du XIXe siècle.

Le prélude nous précipite dans le récit avec l'efficacité et l'âpreté d'un coup de poing. le narrateur, s'il est un témoin direct des événements, est d'ores et déjà installé dans les inconfortables cothurnes d'une Cassandre du Far West, spectateur impuissant comme orateur négligé. Alors, il regarde (et pas qu'un peu), mais allô allô, allô ? Il s'interroge au fil des pages, tâchant de recomposer les engrenages de l'explosion d'épouvante bestiale déjà latente ; et l'auteur parvient par là à poser le contexte économique et géopolitique de la novella, tout en évitant de pesants verbiages ou de filandreuses descriptions. Parce que faut pas écouter les bails noirs, mais faut que j'te l'dises quand même.

Le décor lui-même mettra en garde les protagonistes, empêtrés dès leur départ dans une nature hostile déterminée à les engloutir corps et âmes : « Un étrange bruit de succion accompagnait chacun de nos pas sur ce limon infect qui ralentissait notre marche. » Leurs propres natures humaines, altérées de richesses, de racisme, de vengeance, les pousseront dans des affrontements dont l'horreur ne doit rien au surnaturel : « Dans son élan meurtrier [le boulet] emportait un bras ou arrachait une jambe, et laissait dans son sillage des corps démembrés, hurlant d'agonie avant d'expirer dans la boue. » À se demander qui a le droit, qui a le droit d'faire ça, dans le game ?

Mais au-delà de la cupidité et la haine des plus banales, au-delà des embûches d'un environnement sauvage, une tension désincarnée imprègne le récit d'un narrateur à l'acuité exacerbée. Certes, il a le juice, mais comment ne pas perdre la tête, quand la menace se déguise d'abord sous des personnages croqués avec précision : « L'iris et la pupille de ses yeux se fondaient en un disque laiteux, non moins énigmatique que dérangeant » ? Puis elle s'intensifie en abjection comme en violence, à un rythme enlevé. N'en doutez pas, le point de rupture a été dépassé bien avant l'introduction; la frêle illusion d'équilibre qui vacillait dans les premières pages vole en éclats sur un crescendo d'épouvante, et on tchouffe, ça va pas mais pas, mais pas du tout.

N'attendez pas de résolution ni de soulagement dans cette novella. Une fin abrupte dissout l'espérance et la foi en l'humanité « dans les brumes insondables des Black Hills ». Dans un cadre historique à l'atrocité avérée, affûtée par une irrationalité maléfique sans nom, ce Gold Rush réussit un beau doublé dans le monstrueux, servi par une plume fluide et un tempo haletant. Mais même si on est matrixés, on s'en fout, y'aura toujours des fous.
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