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Critique de Alexein


C'est le neuvième livre de ce jeune auteur de vingt-sept ans. Cécile Coulon doit à présent être rompue à cet exercice. Je n'ai pas lu ses autres livres, je ne peux donc pas me risquer à des comparaisons. Cependant, je me pose sérieusement la question de savoir si ce n'est pas avant tout du fait de son âge qu'on lui tresse autant de lauriers.

Il s'agit ici d'une histoire sur l'implantation d'une famille à la campagne. On commence par celui qui deviendra le grand-père et on va jusqu'à la troisième génération. C'est raconté chronologiquement et non par allers et retours entre le présent et le passé. Là je m'arrête et me dis : l'histoire de trois générations racontée sur deux cent cinquante pages, ça doit être sacrément condensé. Et je me dis que, en étant arrivé à son neuvième, son style doit être bien affûté. Ce style n'est d'ailleurs pas dénué d'intérêt.

Commençant ma lecture, je découvre de belles descriptions de paysages et du pays qui contiendra cette histoire. Dès les premières pages, il y a de belles images poétiques, certaines m'apparaissant parfois étranges.

Il y a très vite une opposition catégorique entre ceux des Fontaines (le village) et ceux qui viennent de « l'autre côté » (la ville), qui nourrit un sentiment étrange qu'elle ne développe pas et qui au fil de ma lecture finit par me mettre mal à l'aise, comme s'il y avait un trou béant dans son tableau : le décor manque de consistance. Ce lieu est vu comme un paradis terrestre et tout à la fois comme les portes de l'enfer. On est laissés à cette étrange opposition qui ne sera pas développée, pas même par de légères suggestions.

J'ai rencontré beaucoup d'images et de métaphores bancales, non pertinentes et malheureuses, certaines assez grotesques. Il y a un délayage de descriptions et pour certaines très régulièrement rabâchées. Elle veut être bien sûre qu'on ne se perd pas en route, mais ça devient presque une insulte à l'intelligence du lecteur et à sa capacité de mémoriser ce qu'elle nous donne. Elle enfonce le clou pour bien s'assurer qu'on ne comprendra pas autre chose. Je ne citerai qu'une seul phrase de ce procédé qui se répète dans le livre quasiment à chaque page : « L'air frais le rafraîchissait. » p.112. Cette courte phrase résume bien le propos. Il y a probablement eu un manque de temps pour la relecture.

Sans surprise je n'ai pas accroché à l'histoire, la mayonnaise ne prend pas. de trop nombreux aspects manquent de concret et je n'ai ressenti que très peu de chaleur humaine dans cette histoire. Les dialogues sont assez prévisibles et les personnages agissent trop souvent comme des pions qu'on déplace sur un plateau de jeu.

Ce n'est pas que l'écriture soit trop sage, mais elle est froide, elle manque d'investissement affectif. Elle ne gratte pas trop sous la surface convenue que tout un chacun peut percevoir par soi-même. On dirait une démonstration scolaire lapidaire qui se répète uniquement pour faire du remplissage.

L'histoire est donc lisse, manque de développements et d'approfondissements alors qu'il y a la matière pour. Elle reste trop dans la théorie au lieu de donner des anecdotes qui ancreraient le lecteur dans l'histoire. Elle manque d'aspérités, de tout ce qui suscite le sentiment d'avoir des atomes crochus avec au moins un personnage.

C'est un véritable défi de faire tenir une telle histoire dans si peu de pages et, qui plus est, elle délaye à outrance. Je me suis posé la question suivante vers les deux-tiers du livre : si le centre de l'intrigue se situe à la troisième génération, pourquoi partir du tout début et raconter chronologiquement l'histoire de la famille plutôt que de commencer à ce qui intéresse l'intrigue tout en la ponctuant d'évocation de souvenirs en filigrane qui s'entrelaceraient avec la narration de la situation présente ? Évidemment, ça aurait modifié le récit du tout au tout et il faut faire des choix. Je ne blâme absolument pas l'auteur d'en faire, c'est quelque chose de très difficile lorsqu'on compose une histoire. Je suis simplement des pistes de réflexion.

Là où elle pèche le plus, c'est dans la lourdeur d'un style redondant de petites phrases qui se répètent et tournent à vide. Je me risquerai à supposer qu'elle a très peu modifié son premier jet et qu'elle l'a recopié quasiment tel quel, au vu des disparités que j'ai perçues tout au long du récit, les éléments s'articulent assez mal. L'harmonisation est un gros morceau de la phase de relecture et il prend du temps et de l'énergie mais c'est à ça que l'on voit la maturité d'un écrivain. La fin, quant à elle, est bien mais ne rachète pas la lourdeur du développement qui piétine beaucoup trop. On pourrait facilement retirer une bonne centaine de pages sans perdre un seul élément utile de cette histoire.

L'évocation vivante de cette nature fait cruellement défaut (Cécile Coulon a déclaré elle-même que le lieu de ce roman est le personnage principal) pour faire ressentir au lecteur tous les effets et les impressions de ce genre de vie. J'ai vécu à la campagne et je n'ai rien ressenti qui me fît m'y sentir dans ce livre. Il y a trop de distance. Il est froid. Je ne ressens pas d'empathie.

C'est l'opposition catégorique d'Élise, qui disparaît rapidement de l'histoire, et qui n'est pas approfondie, qui a jeté un froid dans mon esprit. Il y avait là matière à des développements intéressants sur l'intranquillité de ce personnage (celle d'Agnès est plus développée) et les raisons de son inadéquation au monde qui est le héros du livre. Ce n'est même pas qu'il y ait trop de flou, il n'y a pas assez d'éléments pour bâtir une histoire solide. C'est d'ailleurs paradoxal vu le sujet.

Je pense qu'un tel sujet est très ambitieux et requerrait au moins une année d'écriture ainsi qu'une immersion pour bien s'imprégner de l'atmosphère à rendre.

Mon sentiment général est que ce livre a été écrit sous la pression d'un délai et avec un grand manque d'investissement affectif, ce qui est terrible pour un ouvrage de littérature et d'autant plus dommage que le sujet lui tient particulièrement à coeur. Je comprends que l'on encourage l'auteur, qui a du talent et de l'envie, mais je trouve déplacé de l'encenser de façon aussi obséquieuse comme si ce qu'elle écrit était génial et parfait. Certes, il y a du bon mais il faut aussi pointer les défauts, qui ne sont pas petits. Si elle s'habitue à ces louanges, cela risque de l'empêcher de progresser.
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