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Critique de meeva


En voyant cet ouvrage dans la masse critique, je me suis dit qu’il serait une bonne occasion de combler un peu mon manque de culture historique et politique, puisque je me doutais que la présentation de Paul Bert (1833-1886) en tant qu’inventeur de l’école laïque replacerait son action dans son contexte.


Et en effet, ce livre a répondu à toutes mes attentes et bien plus encore !

Il présente brièvement la famille et l’enfance de Paul Bert, juste ce qu’il faut pour entrevoir les influences auxquelles il a été soumis.

Après cela, le livre ne suit pas précisément un ordre chronologique, puisqu’il expose la carrière scientifique de Paul Bert, puis son engagement politique, ensuite plus précisément ses idées républicaines et de libre-penseur.

Une partie importante concerne son action envers l’école et une dernière partie s’intéresse à sa position face à la question coloniale, ce qui permet de conclure son parcours puisqu’il est mort dans les colonies.



Au vu des notes et des références bibliographiques, c’est un travail extrêmement bien documenté que nous livre Rémi Dalisson.
Il y a suffisamment de détails donnés sur le contexte politique de l’époque pour avoir un avis nuancé sur le personnage qu’a été Paul Bert.


C’est un scientifique avant tout, qui croit au pouvoir de la science pour former l’esprit, qui croit au pouvoir de la science pour amener des progrès dans bien des domaines. Et tant pis s’il faut s’adonner à la vivisection, largement attaquée déjà à l’époque.

C’est un libre-penseur, qui croit que chaque homme doit se déterminer par lui-même. Il flirte avec la franc-maçonnerie mais n’a pas fait partie « officiellement » de ce système.
Ses idées l’ont poussé à s’engager en politique et à agir particulièrement pour l’école, base de l’éducation de tous les enfants.
Une bonne place est laissée à l’examen de ses idées concernant la religion. Profondément anticlérical, il n’est pas opposé à la religion pour autant.
Cependant, il veut que chaque homme puisse contrôler sa vie, sa morale, dans la religion qu’il souhaite, ou dans la non-religion. Ainsi, il va œuvrer à reprendre le pouvoir que les jésuites ont sur l’éducation des enfants.

« En respectant les lois, vous serez entièrement libres. […] vous pourrez aller ou ne pas aller à l’Eglise, changer de religion si vous le voulez, ou même n’en avoir aucune, travailler ou non le dimanche. […] Tout français jouit de la liberté individuelle […] de la liberté de conscience. […] Toutes ces libertés sont communes à tout le monde. Par conséquent, chacun en les exerçant à le devoir de laisser les autres les exercer comme bon lui semble. […] Voilà la principale limite de la liberté, ne pas gêner celle des autres. »
[Paul Bert, l’instruction civique…, op. cit., p 113-116]


Pour cela il participe en politique à l’élaboration de la loi qui promulgue une école obligatoire, gratuite et laïque, votée en 1886 sous le nom de « loi Goblet ».

« Ainsi, tout marchait à la fois. Par la suppression des matières religieuses de l’enseignement public, on assurait la liberté de conscience de l’enfant, celle du père de famille, celle de l’instituteur. Par l’obligation, on rappelait au sentiment de leur devoir les pères de famille presque indignes de ce beau nom. Par la gratuité, on établissait dès l’école le sentiment de l’égalité civique […]. Par la laïcisation du personnel enseignant, on confiait l’instruction publique à des fonctionnaires qui n’obéissent qu’à la loi civile, ne reçoivent d’ordres que de leurs chefs hiérarchiques. »
[Paul Bert, rapport sur le projet de loi rendant l’école obligatoire, 1880, n° 2606, 11 mai 1880]


Cela précède de peu la loi de séparation de l’église et de l’état en 1905, qui n’est qu’évoquée dans cet ouvrage mais qui se trouve nettement éclairée par celui-ci.

Cette mise en œuvre d'une école laïque permet aussi de mieux comprendre dans quel optique l'enseignement moral a été placé dans les programmes de l'époque, pour "remplacer" la morale religieuse.
Cela donne donc à réfléchir sur le retour d'un enseignement civique et moral depuis la dernière rentrée scolaire.

Paul Bert a œuvré également pour l’égalité filles-garçons quant à la scolarisation, même si ensuite, cette égalité était mise à mal par la grande différence de traitement des deux sexes. Aux filles les travaux d’aiguille, aux garçons les exercices physiques. Là encore, le contexte est important, les femmes sont au foyer, n’ont pas le droit de vote (pour un bon moment encore…).


La dernière partie qui concerne ses positions face aux colonies est l’occasion de nuancer le racisme dont il fait preuve par les idées qui prévalent à l’époque sur les races et d’expliciter les différentes formes de colonialisme qui ont existé.
Lorsque certains croient à la pureté de la race, d’autres croient en la possibilité d’améliorer les races inférieures par métissage.
Lorsque certains veulent profiter des territoires et laisser disparaître les populations locales, d’autres veulent profiter des territoires et imposer le progrès aux populations locales.
Des nuances, somme toute, utiles à la réflexion sur ces sujets…



Dans un deuxième « chapitre », Rémi Dalisson se penche sur la mémoire de Paul Bert et les controverses dont il a été l’objet depuis un peu plus d’un siècle maintenant.
Il permet d’appuyer un point de vue non partisan, prenant le contre-pied tant du positif que du négatif par quelques rappels brefs à la réalité décrite largement précédemment dans l’ouvrage.

En conclusion, Rémi Dalisson ouvre la réflexion sur la question de la laïcité qui ressort depuis quelques années dans la question scolaire.



Et en effet, cette année, en tant que parent, nous avons été prié de lire la charte de la laïcité, coincée entre le règlement intérieur de l’école, la charte informatique, le règlement de la cantine, dans les documents de rentrée en septembre.

Il est vrai aussi que depuis pas mal de temps, au nom de la lutte contre le décrochage scolaire, l’obligation scolaire est assénée quand besoin s’en fait sentir et l’on sait même retenir les allocation familiales des récalcitrants éventuellement.

Et laquelle manque-t-il des trois ?
Gratuité, où es-tu ?
Pourquoi personne ne s’étonne de devoir payer les fournitures scolaires dès l’école primaire, de devoir payer des sorties scolaires... ?

Un livre qui donne envie de réfléchir. Un très bon livre.


Merci aux éditions Armand Colin de participer à Masse Critique et merci à Babelio de l’organiser.





De l’importance de l’école :

« […]
Oh l’aut’, y fait ministre il a même pas d’CAP
Tu m’étonnes que ça merde la France
[…] »

Extrait de « Toubon chez les jeunes », Les guignols de l’info :
https://www.youtube.com/watch?v=CtG4eqQ-2G4

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