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Critique de pompimpon


Du début des années 1980 au 7 juillet 2010, date de son arrestation, Lonnie David Franklin Jr a assassiné et violé des femmes dans le quartier de South Central, Los Angeles, où il vivait.
Le nombre exact de ses victimes reste inconnu.
Il a été jugé, reconnu coupable et condamné pour le viol et le meurtre de dix femmes et jeunes filles.

Les motivations de cet homme ne m'intéressent pas, son modus operandi non plus.

En revanche, l'idée qu'il ait pu agir impunément durant près de trente ans avec une supposée interruption de douze ans, au sein d'une grande ville des États-Unis, ayant des forces de police et un système judiciaire, me laisse pantoise.
South Central, ce n'est pas la cambrousse, avec le premier voisin à quinze miles et le poste de police à cinquante.
Non.
South Central, comme son nom l'indique, est situé au centre de Los Angeles, même si la concernant ça ne veut pas dire grand-chose, tant les quartiers sont séparés les uns des autres comme s'il s'agissait de la ville voisine.

Dans les années 80 c'est surtout un quartier noir, le plus pauvre de LA, dévasté par le crack et toutes ses conséquences.
Et toutes les victimes de Lonnie Franklin Jr sont noires, identifiées comme droguées et prostituées.
Auraient-elles été « moins » victimes parce que noires, ou (et ?) droguées, ou (et ?) prostituées ?

Ajoutons le fait qu'au moins quatre autres tueurs en série sévissaient dans ce même quartier de South Central durant la même période, et le malaise commence à gagner.
À eux tous, ils auraient tué une centaine de femmes.
Une centaine de femmes, marchant la nuit sur les trottoirs de South Central.
Dans cette ville où personne ne marche, où tout le monde se déplace en voiture.
Elles se rendaient à une fête. Elles rentraient chez elles. Elles cherchaient du crack, ou un client.
Combien de femmes exactement, on n'en sait rien. Une centaine.
Alors, zone de non-droit, désintérêt des autorités, opportunisme des meurtriers ?
Et qui pour se pencher sur les victimes, leurs familles, leurs conditions de vie ?

Lorsque j'ai lu sur la quatrième de couverture que Cécile Delarue, avec Black-out, avait décidé de se concentrer avant tout sur les victimes de Lonnie Franklin Jr, ça a forcément attiré mon attention.
Peut-être en ai-je trop attendu, du coup.

Il est aisé de comprendre que cette affaire a eu une importance particulière pour Cécile Delarue, arrivée à Los Angeles au moment de l'arrestation de Lonnie Franklin Jr, pour des vacances qui vont l'inciter à s'y installer.
Elle a rencontré la journaliste qui la première en a parlé dans un journal gratuit, LA Weekly, en 2006.
Elle a rencontré les parents d'une victime, Alicia Monique Alexander, et la belle-mère d'une autre, Barbara Ware. Elle a rencontré une militante des droits des Afro-Américains, des membres ou d'anciens membres du LAPD, des journalistes…
Elle a publié des articles dans des revues françaises, tourné un documentaire. Elle s'est impliquée afin que l'histoire soit connue.

Au moment d'écrire son livre, huit ans plus tard, elle tente de reprendre contact avec certains protagonistes et d'en rencontrer de nouveaux, pour compléter ses travaux précédents.
Mais voilà, le livre en question, c'est bien plutôt "Cécile Delarue, journaliste free lance à LA, et l'affaire du Grim Sleeper" que le seul parcours des victimes et de leurs familles.
Elle nous parle des raisons qui l'ont amenée à Los Angeles, de sa vie, de son fils, de l'école de son fils, un peu de ses compagnons, de ses amis, des quartiers où elle vit, où elle travaille, et même de Kim Kardashian qu'elle double en français dans certains programmes pour arrondir les fins de mois !
Elle parle de son questionnement, de ses efforts pour obtenir une entrevue, de son inquiétude quand l'entrevue tarde ou qu'il n'y a pas de réponse.
Bref, elle est très présente, on ne risque pas de l'oublier. Et je n'en demandais pas tant.

Pour le reste, ce que Cécile Delarue dit de South Central, ce qu'elle découvre des victimes et ce qu'elle rapporte des enquêteurs, est intéressant.
Les raisons du silence du LAPD, puis l'absence de réaction à leurs annonces dans les medias. L'histoire de South Central, du crack, la répercussion sur les familles.
La dureté apparente de la District Attorney qui a requis contre Lonnie Franklin Jr quand elle la rencontre enfin. Les silences et les onomatopées d'Enietra Washington, un des deux survivantes connues.
Une fois habituée à ses flash-backs incessants et à ce mélange de vie personnelle, interrogations métaphysiques et affaire du Grim Sleeper, j'ai pu en apprécier la valeur.

En 235 pages, je ne vais pas dire que l'ensemble soit particulièrement fouillé. Pourtant, par touches successives, émerge au fil des pages une image bien plus nuancée des victimes comme mères, soeurs, filles, amies, importantes pour d'autres personnes auxquelles elles manquent, et ne méritant pas plus que quiconque le sort qu'elles ont subi.

Elles s'appelaient Sharon, Debra, Henrietta, Barbara, Bernita, Mary, Lachrica, Inez, Alicia, Georgia Mae, Princess, Valerie, Rolenia, Ayella, Janecia. Auxquelles s'ajoutent celles dont on ignore le nom, qui n'ont pas été retrouvées.
Laura et Enietra, elles, ont miraculeusement survécu à leurs blessures, mais gardent forcément le traumatisme de ce qu'elles ont traversé pour avoir croisé la route d'un monstre.
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