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Critique de Luxi


L'histoire débute avec le décès de Claire Stottmeyer et l'incompréhension de son fils, Patrick Dubosq, reporter pour Paris Match. Pourquoi sa mère a-t-elle pris sa voiture, en pleine nuit, vêtue de sa seule chemise de nuit, pour finir dans un canal à des kilomètres de chez elle ? Patrick réalise peu à peu qu'il est probablement passé à côté de sa détresse et de l'immensité de sa solitude. Lorsqu'il retourne dans la maison De Claire, il tombe avec effarement sur un chaos de carnets et feuillets éparpillés sur la table de la cuisine, accompagnés d'une lettre inachevée qui lui est adressée. A partir de cet instant, l'histoire rembobine jusque dans les années 30 où nous faisons la connaissance des familles Stottmeyer et Dubosq.
Nous rencontrons donc Roland Stottmeyer et Claire Dubosq, de leur enfance jusqu'à l'irruption de la guerre. Nous suivons leurs chagrins, leurs joies, leurs premières amours respectives, leur rage et leurs combats. Je m'arrête ici pour ne rien révéler de l'histoire mais c'est tellement puissant, tellement touchant et parfois tellement écoeurant qu'on tourne les pages avec frénésie sans voir les heures s'écouler.
Je n'avais encore jamais lu de roman ou de témoignage sur les "Malgré-Nous", ces hommes Alsaciens et Mosellans forcés à s'engager dans la Wehrmacht, parfois même jusque dans la terrible Waffen-SS – et j'ignorais tout de ce dernier fait. Apprendre que de nombreux soldats faisant partie de cette section d'élite, à l'origine des crimes les plus monstrueux, étaient des Malgré-Nous, c'est révoltant et bouleversant. J'ai ainsi appris que plus de 130 000 hommes, Alsaciens ou Mosellans, avaient été forcés à porter l'uniforme vert-de-gris et à se battre pour le Reich. Ça fait froid dans le dos.
L'écriture de Pierre Delerive est incroyable : sans trop savoir pourquoi, j'avais imaginé un texte complexe, pesant, tandis que les phrases glissent d'elles-mêmes, fluides et évidentes, avec une légèreté éblouissante. C'est un régal à lire.
Et puis l'auteur n'a pas choisi le manichéisme irritant : bien sûr le soldat allemand est profondément haï par Roland lorsque celui-ci débarque dans ce flot d'uniformes répugnants. Mais il y a Manfred, cet Autrichien qui aura un rôle vital à un moment de sa vie et surtout il y a cette rencontre très belle, totalement inattendue, avec le Feldwebel Hans Metzer qui aura envers lui les gestes du respect. L'amitié mettra du temps à grandir mais elle sera forte et profonde. J'ai infiniment aimé cette part de l'histoire qui nous rappelle que tous les allemands n'étaient pas nazis, fait que nous avons souvent tendance à rayer de nos esprits.
Ayant ainsi traversé cette guerre atroce auprès de Roland et Claire, nous comprenons peu à peu les blessures respectives qui les peuplent et les abîment. Car ils finissent par se rencontrer – nous apprenons dès le début qu'ils étaient mari et femme – mais ce n'est qu'à la toute fin du livre que les différents éclats se réagencent, se réharmonisent et que le tableau s'éclaire. Nous comprenons que cet amour, pourtant si fort et si sincère, était voué à l'échec, enterré dès le départ sous une épaisse et poisseuse étoffe de deuil.
Ce final est stupéfiant et vous terrasse le coeur à plusieurs reprises. Les révélations s'enchaînent, ébouriffantes. Des actes sont commis que personne, hormis les acteurs en question, ne pourra comprendre dans sa chair ni juger. Cette fin est fracassante, inattendue, extrêmement bien ficelée.
J'ai été d'autant plus sensible au dernier tiers du livre que le massacre d'Oradour-sur-Glane par la célèbre division SS Das Reich est évoqué, village martyr proche de chez moi dans lequel je me suis rendue de nombreuses fois. On ne ressort pas indemne d'un tel "pèlerinage".
Où est vraiment le bourreau et où est la victime ? Où va le coeur lorsqu'on vous force à enfiler un uniforme de SS ? Lorsque la guerre vous ampute d'un ami, d'un frère ou d'un amant ? Où est le sens ? Où est la bonne raison, même infime, même absurde, qui vous fait continuer ?
Ces questions terribles et presque philosophiques sont l'essence même du roman de Pierre Delerive qui les aborde avec recul, délicatesse et une profonde humanité. Je ne peux que vous recommander cette histoire aux accents de thriller qui vous laissera tremblant, secoué et horrifié, retournant fébrilement aux toutes premières pages pour les relire avec un regard tout différent.
Avec ce titre à double sens que j'entends à la fois comme "Le passé Malgré-nous" et "Le passé contre nous", c'est évidemment un roman sur le secret – sur LES secrets, les plus graves et les sincères. C'est le roman de l'amitié fidèle, de l'horreur quotidienne, de la culpabilité infernale, de la guerre qui ne finit jamais totalement puisqu'elle continue à hanter ses proies, qu'elles aient été désignées noires ou blanches. C'est le roman de l'impossible pardon et de l'impossible oubli.
Lien : https://lechemindeslivres.wo..
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