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Critique de berni_29


Venez ! Approchez un peu du tipi. Ce soir, nous allons entendre Woyaka nous raconter les grandes légendes du peuple Sioux. On prétend que Woyaka possède plus de pouvoirs que tous les autres car il est de loin le meilleur des conteurs. Il nous parlera des hommes, certains furent de grands guerriers, d'autres prophètes, chasseurs, sorciers ou devins. Il brûlera un peu d'encens au pied de l'orbe, entonnera un chant sacré, entrera en transe, chantera encore et encore sa complainte sans fin. Peut-être entrera-t-il dans le cercle de terre, revêtu de la peau d'un animal, il sera alors bison, faisant venir par son chant les autres bisons, les faisant à leur tour entrer dans le cercle car « tant que le bison vivra nous ne mourrons pas. » Il nous parlera du Grand Mystère. Il nous rappellera qu'il y a très longtemps le peuple Dakota a appris que l'homme ne pouvait vivre seul. Il nous parlera de la façon dont les oiseaux apprennent à jouer aux hommes dakotas, du combat entre le vent d'Ouest et le vent d'Est.
Ils sont tous là réunis pour écouter son histoire... Faon Agile, Aigle Noir, Arc-en-Ciel, Aube Blanche, Oiseau de Nuit, Fleur de Prairie, Bon Chasseur, Cheval Sacré, Feuille Rouge, même Petit Ours… Et puis la petite, là, qui commence à gambader, n'est-ce pas Nénuphar, la fille d'Oiseau Bleu ?
Nénuphar : Femme sioux, fille du grand peuple dakota est un portrait unique de la vie des Sioux au XIXème siècle, nous racontant d'un point de vue féminin et sur trois générations, - la grand-mère, la mère et la fille, la culture des Indiens des Plaines.
Nous allons suivre dans leur sillage Oiseau Bleu, femme sioux mariée précipitamment à un homme immature et sa fille Nénuphar qui vient de naître sur le chemin qui mène la tribu vers un nouveau campement. Nous allons suivre et voir grandir Nénuphar dans les différentes étapes de sa vie de femme.
Dans une approche romancée, Ella Cara Deloria, anthropologue et linguiste américaine, grâce à ses origines dakotas, met en lumière de manière unique les conditions de vie et le rôle des femmes dans la culture sioux traditionnelle, en visitant leur quotidien, rythmé par les valeurs et croyances dakotas.
J'ai aimé ce parti pris du récit. Elle écrit avec son coeur la joie, les dangers, la douleur, la famille, les migrations, la maladie, la mort, cette vision de l'intérieur qui permet de mieux capter la vie traditionnelle des Sioux, réfléchir aux schémas sociaux et familiaux dans le contexte de la vie quotidienne, fait entrer des émotions dans un récit qui se détache dès lors du procédé anthropologue.
Forcément, au travers du personnage de Nénuphar, elle apporte un point de vue sur l'amour, sur la guerre, sur la manière d'aborder la mort, se détachant ainsi de son côté historienne et ethnologue. Aussi ce livre doit être apprécié davantage comme un roman avec les rebondissements d'une intrigue plus que comme un véritable récit autobiographique,
Déchirée par des luttes intertribales, l'existence des Sioux était dominée par la chasse au bison, mais tuant les animaux dans un respect infini de leur être et de la nature nourricière pour le seul besoin de se nourrir... Il y a parfois dans l'effleurement de ces pages, un désir onirique qui s'éveille, creusant dans une joie profonde des chemins invisibles vers un autre monde.
Le quotidien des Sioux est tissé de ces chemins...
En présentant son peuple sous une forme romanesque dans une écriture de belle tenue, Ella Cara Deloria n'en fait pas pour autant un manifeste féminin.
Le travail des hommes se résume à chasser, à faire la guerre. Celui des femmes à empaqueter tout le nécessaire lors des migrations, c'est à elle que revient la charge de surveiller cet empaquetage pendant le voyage. Elles fabriquent les tipis, les érigent, cherchent le bois, l'eau, préparent les repas, s'occupent des enfants, cousent. Aïe ! Me direz-vous… Rien de bien différent du comportement des hommes blancs et du sort de la femme blanche depuis des siècles ! Je suis sûr que vous attendiez de ma part que je vous révèle un côté féministe du peuple sioux… Vous avez raison d'insister car cette différence existe cependant…
Ella Cara Deloria montre que la structure familiale est un élément majeur dans la civilisation sioux, cette façon bienveillante d'éduquer les enfants.
Le monde de l'homme et celui de la femme sont complémentaires mais très séparés, les inégalités entre hommes et femmes existent comme une conséquence normale et acceptée de la différenciation entre les sexes. Les femmes ne sont pas décrites comme exploitées, mais comme faisant partie d'un système culturel qui leur offre un rôle majeur et visible.
D'ailleurs, j'ai savouré le propos d'un Indien revenant d'un long séjour chez les Longs Couteaux, - entendez là les Blancs. Il raconte, horrifié, comment ceux-ci, hommes comme femmes, maltraitent leurs enfants en les rouant de fessées à longueur de journée. " Et leurs femmes ? " demande un autre Indien, comment sont-elles ? Alors sa réponse se passe de commentaire, montrant bien ce trait de différence avec les femmes Indiennes : " Leurs femmes ? On ne les voit quasiment jamais, elles sont invisibles. "
Je vous aurais bien encore parlé de la Danse au soleil, de la cérémonie du feu de la vierge, de la Lune des ratons laveurs qui est le mois de février ou bien de la Lune où les animaux se gonflent qui est le mois de juin… Et avril tiens ! Comment dit-on avril en langue sioux ?
Ce soir la Lune a les yeux mouillés. Je referme les pages de ce beau récit traversé de joie, celle de cette vie d'avant où les dakotas pouvaient encore dire : « tant que le bison vivra nous ne mourrons pas. »
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