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Critique de Thaddeus


Le fond des choses est le premier roman de Thomas Desaulniers-Brousseau. le début aborde le procès d'un agresseur sexuel. Cependant, le contexte rend la victime mal à l'aise et son témoignage est chancelant, sa mémoire floue. le système de justice est un drôle d'animal! Mais très vite le narrateur laisse tout cela de côté, nous n'aurons pas le fin mot de cette histoire. le narrateur, journaliste blasé, enquête sur l'affaire Michel S. Painchaud, un peintre célèbre accusé de pédophilie après sa mort. Thomas Desaulniers-Brousseau reprend ici les grandes lignes de l'affaire Claude Jutra. L'enquête du journaliste le mène à divers questionnements « existentiels ».
le lecteur sent bien qu'il est de trop dans cette narration du soi. Les réflexions du narrateur dépassent rarement le narrateur. L'autoréférentialité fournit toute la matière à cette aberrante mise en scène du soi. Et quel soi! Un moi hypertrophié qui m'a presque fait regretter feu le Nouveau Roman. le narrateur est frappé d'un mal moderne : la dépression. (Personnellement, je n'ai rien contre; création et dépression sont le Janus de l'art.) On ne peut enlever à l'auteur un certain talent pour écrire de belles phrases. Mais à quoi lui sert cette verve s'il l'utilise pour ennuyer son lecteur? Il décrit des rencontres quotidiennes banales, des soirées futiles, des vernissages plats et des relations sexuelles ordinaires, peu satisfaisantes. S'il y avait eu moins de redondance dans l'accumulation de ces scènes, j'y aurais vu une critique de la vie moderne urbaine, profondément vide de sens. Ses réflexions étouffent, écrasent et envahissent le récit : « Les yeux fixés sur l'événement le plus anodin, j'avais perdu la vue d'ensemble. » (p. 224) le lecteur est capable de réfléchir par lui-même. le sérieux tue la légèreté. La gravité n'est pas garant d'intelligence. Plusieurs pensées sont trop personnelles pour toucher. Quelques fois même, nous sentons des clins d'oeil destinés à un groupe d'initiés. le texte n'a pas vraiment de fin; le narrateur aurait pu se questionner, se répéter et s'observer sur des milliers de pages s'il avait voulu. (Sûrement ce qu'il fait en ce moment même!)
À plusieurs endroits, nous voyons une oscillation entre fiction et autofiction, ce qui n'est pas un petit irritant. Un écrivain doit transcender ou abolir la distance entre l'auteur et le narrateur. Les personnages n'ont d'intérêt que considérés du point de vue du narrateur. À quoi sert-il de les présenter pour finalement dire qu'ils sont une construction, qu'ils n'existent pas, voire qu'ils sont une excroissance du narrateur? Une fois que le mot « Roman » est inscrit sur la page couverture, tout est dit à ce niveau. (Ce n'est pas moi qui irais déposer des fleurs sur la tombe imaginaire de Lucien de Rubempré. Quoi que...) L'écriture de ce roman a-t-elle été une thérapie? C'est bien connu, au lieu de se payer un psy on écrit. Ou est-ce vraiment un récit sur la recherche de vérité? Mais quelle vérité?
Cela étant dit, à travers tout cet ennui, nous pouvons observer quelques bons traits. « On peut bien tirer de la fierté de notre ouvrage, et se convaincre que les honneurs sont mérités; la vérité, c'est que ce choix qu'on a fait n'en est pas un, et qu'on ne se rabat toujours que sur les choses qui nous permettent de rester en vie. » (p. 251) Ou encore : « le travail [...] était un écran qui s'érige entre l'individu et le monde, un filtre déformant à travers lequel chaque fragment de la réalité acquiert une valeur puis est désintégré. » Les meilleures scènes sont assurément celles où le narrateur décrit sa vie à la campagne. La fin me laisse profondément mitigé. La quête du sens, peuplée de peurs et d'angoisses, est une recherche sans fin et intime? le réconfort est temporaire?
Mario Vargas Llosa dans son Éloge de la lecture et de la fiction parle de la lecture comme une forme de protestation « contre les insuffisances de la vie ». J'ai l'impression que le fond des choses me ramène trop allègrement vers ces insuffisances. Si j'avais eu plus de plaisir à lire ce roman, j'aurais sans doute su savourer davantage la pensée de l'auteur.
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