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Critique de Matatoune


Comme toujours, Virginie Despentes frappe fort ! Elle est la seule à oser un titre aussi provocateur. La seule encore à faire un roman sans aucune histoire. Et, surtout, encore la seule à rassembler trois personnages complétement opposés reliés par un procédé littéraire un peu désuet, la relation épistolaire.

Après la révolution MeToo, Virginie Despentes livre ses réflexions mais aussi analyse notre société relevant ses aberrations, ses archaïsmes, ses avancées et affirme encore et encore ce qui fait le sel de son lien aux autres, l'amitié.

Son titre Cher Connard mêle tendresse et intransigeance à la fois. Imaginez Oscar Jayack, un écrivain plutôt malgré les succès de ses précédentes parutions, qui injurie sur Instagram Rebecca Latté. Elle était une actrice adulée dans sa jeunesse, image de la séduction féminine accomplie, qui à cinquante ans est en sommeil. Oscar, prototype du mâle la quarantaine avancée, charge son physique. Ça vous fait penser à certains ! Oui, ils sont encore nombreux à oser encore s'exprimer de la sorte! Et la réponse qu'elle lui fait commence par Cher Connard

En fait, Oscar et Rebecca se connaissent et vont entretenir une correspondance, dont on ne sait rien du procédé, email ou courrier, durant plusieurs années. Un autre personnage vient se glisser dans ces échanges. Lorsqu'elle était attachée de presse d'oscar, Zoé Katana a accusé Oscar de harcèlement. Devenue blogueuse et féministe, ses articles viennent s'intercaler de temps en temps, rappelant aussi les impacts délétères des réseaux sociaux.

Comme Virginie Despentes ne rangent personne dans des cases binaires peu vraisemblables, Cher Connard est à la fois un essai, avec ses nombreux argumentaires développant les raisonnements, soupesant les arguments, les contredisant, en bref discutant un certain nombre de sujets sociaux d'actualité ou d'idées en vogue en ce moment.

Mais aussi, Cher Connard est un roman. Virginie Despentes crée trois personnages qui vont, au fil des échanges, non seulement être crédibles dans leur personnalité, mais aussi évoluer au contact de l'autre, de son soutien et même de son amitié.

Comme un cri, comme un tag, sa langue oscille entre brutalité et empathie pour parler du féminisme, des addictions de formes diverses, de viols y compris ceux que subissent les hommes, du pouvoir, de la paternité, des enfants, de la domination, de la séduction, du corps des femmes, des rapports entre les hommes et les femmes, mais aussi des femmes entre elles, du harcèlement et aussi de la discussion, de l'écoute et de l'échange qui fonde cette amitié capable de dire son désaccord tout en continuant à échanger.

Ses réflexions sont énoncées et souvent, ça tape juste, précisément, où ça fait avancer ! Quelque fois c'est redondant, répétitif et même lassant, puis ça claque de justesse ! Ces personnages analysent le magma d'influences de leurs idées plus ou moins précisées, plus ou moins énoncées, qui vont former comme un substrat la base de l'analyse sociologique de notre société.

Ici, rien à voir avec le diktat des réseaux sociaux qui en quelques signes énoncent un jugement, une opinion, poussent la vindicte populaire sur un objet, débloquent la haine et la colère si prompt à harceler, à agresser pour détruire et surtout forcer à se taire.

Cher connard est un texte fort qui ne se laisse pas découvrir facilement. Il est exigeant par l'attention qu'il demande. Il va à contre-courant des opinions admises, du politiquement correct et de l'attendu dominant.

Virginie Despentes, avec les kilos qui la narguent et les rides qui s'affichent, a assoupli son style mais sa pensée est toujours aussi affutée, si libre et intransigeante contre tous les pouvoirs, y compris ceux des féministes qui reproduisent les comportements masculins.

Ah, ce dernier article de Zoé, à la presque fin du roman ! Cher Connard est un hymne à penser par soi-même. Cette omniprésence de la réflexion et son respect à étudier toutes nuances sans autre intérêt que de discuter l'idée, quelle bouffée d'air ! Quel réveil ! Non pas pour suivre bêtement le cours du flux des hargneux et même des sans-scrupule, de ceux qui font du refus de la libre pensée leur marque de fabrique, ceux ou celles qui scalpent, ceux ou celles qui harcèlent …

Non ! Pour ceux ou celles qui acceptent de douter, de s'en foutent d'avoir raison ou non, qui cherchent pour le plaisir, jamais assouvi, d'aller à la rencontre de l'autre ! Alors, et seulement pour ceux-là, ce livre est pour vous !
Lien : https://vagabondageautourdes..
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