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Critique de GeraldineB


Les premières pages de "Cher connard" sont à l'image du titre, d'une vulgarité crasse. Un homme, Oscar, écrivain plongé dans la tourmente de MeToo et une femme, Rebecca, célèbre actrice sur le déclin s'insultent par mails. Pas de doute, nous sommes bien en 2022, à l'heure du "sans filtre" sur les réseaux sociaux, les plateaux télé et jusque dans les discours présidentiels. Las, le livre commençait déjà à me glisser des mains. Les pages éructaient de rage mais je n'entendais pas, je n'entendais plus, l'auteur criait trop fort. Et puis cette colère brouillonne qui envoie ses missiles tous azimuts a fini par me cueillir. Car Virginie Despentes, c'est la perfection du tir, la phrase qui touche au bon endroit, au bon moment. Et dans ce livre explosif autant que corrosif, tout le monde en prend pour son grade, pas seulement l'homme blanc privilégié qui use de son pouvoir. Despentes s'attaque aussi aux bobos féministes, au milieu de l'édition, aux accros d'Instagram et de Twitter. Guerrière, elle dénonce avec beaucoup de justesse le sort que le cinéma réserve aux actrices vieillissantes, soumises à la dictature du botox et des régimes amincissants. Jadis, le cinéma les avait faites reines. A présent il les efface, tout simplement. Si nos vieux schémas semblent indépassables, Virginie Despentes les secoue. Allons-nous subir encore longtemps cet autoritarisme patriarcale qui imprègne toute notre société? Bien sûr, c'est avant tout aux femmes que le livre s'adresse et certains passages sont un vrai défouloir, une jubilation pour la lectrice qui, même si elle ne connaît pas personnellement d'écrivains, connaît forcément un Oscar. Il est l'archétype de l'homme médiocre en tous points, pas vraiment méchant mais tellement égocentré qu'il se croit tout permis. D'ailleurs quand il se fait metooïser, il ne comprend pas ce qui lui arrive, n'ayant jamais eu conscience d'avoir été grossier ni surtout d'avoir été trop loin. Avant MeToo, les femmes buvaient leur honte mais à présent elles la vomissent sur les réseaux, quitte à s'en retrouver éclaboussées, à l'instar de Zoé, l'attachée de presse qu'Oscar a harcelée jusqu'à ce qu'elle craque.

Ces trois personnages qui prennent la parole à tour de rôle ont la même hargne et semblent parler par la même bouche. Ils sont coupables et victimes tout à la fois mais surtout victimes de cet emballement médiatique qui les écrase et confisque leur parole. le fait que chaque personnage s'exprime dans le même style ne m'a pas gênée. Ils sont interdépendants et ont besoin l'un de l'autre pour délivrer leur message. Plus j'avançais dans ma lecture et plus je me disais que Despentes avait écrit un livre salutaire, un livre qui se fiche de plaire aux lecteurs et à la presse, qui ne cherche pas la récompense mais la vérité. Et peu importe que cette vérité soit laide, comme un cadavre dans la lumière crue des néons.

Et puis, sur fond de confinement et de délitement social, le livre bascule vers autre chose. Il s'essouffle et perd de son mordant. Rebecca et Oscar sont tous les deux toxicomanes et c'est Oscar qui décide le premier de décrocher. Rebecca suivra. L'amitié qui se tisse au fil des échanges leur donne de la force. Ils sont là l'un pour l'autre et se soutiennent quand l'un des deux est sur le point de flancher. Cette amitié assurément les rend meilleurs et d'ailleurs Oscar prend conscience du mal qu'il a fait à Zoé. Il s'excuse, carrément. Il n'est donc plus tout à fait un connard, vous en conviendrez. Et d'ailleurs pour fêter cette exemplaire rédemption, la vie lui offre une belle et intelligente jeune femme. le fait qu'elle soit plus jeune que lui m'a arraché, je l'avoue, un sourire narquois. Les vieux schémas machistes auraient-ils rattrapé Virginie Despentes sur la ligne d'arrivée? Il est à noter que dans la vraie vie, le connard n'a pas nécessairement besoin de s'amender pour être aimé par une femme de qualité. C'est là le talon d'Achille de la femme, sans doute, sa naïveté et son innocence, sa beauté aussi. Nous quittons donc notre plus tout à fait connard heureux et en passe de devenir un mec vraiment bien. C'est une belle fin moralisatrice et mièvre à souhait. Lisant cela, je me sentais agacée et déçue, presqu'en colère. On m'avait trompée sur la marchandise. le livre s'ouvrait sur un brûlot féministe et se terminait comme un scénario de mauvais film américain. Que s'était-il passé pendant l'écriture du livre? Les effets du confinement peut-être? Ou une récente addiction aux vidéos de chats? Je ne m'explique pas un tel écart entre les deux moitiés du livre. le summum étant la confidence qu'Oscar nous fait sur l'histoire homosexuelle vécue à son adolescence. L'histoire la plus romantique de sa vie, dit-il. Cette caricature était-elle vraiment nécessaire?
Je crois que j'aurais préféré que le connard reste un connard jusqu'au bout, sans remords et sans regrets, face à des femmes sans illusions. Bref, j'aurais aimé une fin peut-être plus sombre mais plus crédible, une fin qui colle avec notre époque car à ma connaissance et sauf si j'ai manqué quelque chose dans l'actualité, nos ministres, eux, ne se sont toujours pas excusés.
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