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Critique de fabienne2909


« Je suis émue de voir ces gens qui déconnent autant que moi et qui, dans ce glissement général vers le grand n'importe quoi, se réunissent et font le contraire de ce que font les gens dans les dîners et sur les réseaux sociaux – s'avouent vaincus, s'avouent faibles, se montrent dans ce qu'ils ont de plus déglingué ».

Généralement, j'aime bien commencer mes billets par une citation qui, pour moi, résume le livre que je viens de lire. C'est drôle d'ailleurs de réussir à débusquer la phrase qui, quand je la lis, me semble dévoiler l'intention (ou en tout cas, l'une des) de l'auteur lors de l'écriture de son texte. Et cette phrase ici me touche, par sa sincérité cash et la vulnérabilité qu'elle dévoile. Car c'est ainsi que je pourrais résumer « Cher connard », roman qui divise, qui clive, et le plus souvent avec passion, comme son autrice, qui aime mettre une couche bien épaisse, tout du moins en apparence, de choc et de clash.

« Cher connard » est une preuve indéniable, si besoin encore était, que Virginie Despentes sait retranscrire l'air du temps, ici dans un roman foisonnant en ce qu'il réunit la lie des sujets en vogue depuis quelques années maintenant : les posts insultants, face visible du harcèlement, sur les réseaux sociaux, la recherche de gloire factice, les addictions (aux drogues, mais pas que), me too, le confinement (sujet qui offre de belles longueurs dans le roman en revanche)… des sujets déprimants, surtout révélateurs d'une certaine toxicité et écroulement de la société, le tout rédigé dans le style volontairement malpoli, gavroche, de l'autrice, espèce de repoussoir verbal anti-bourges pour ceux qui ne sauraient aller au travers.

Repousser pour ne garder que ceux qui s'accrochent, c'est bien résumer aussi le début du roman, qui commence sur deux gosses qui se disputent autour d'un post insultant. Sauf qu'en fait, ce ne sont pas deux gosses, mais deux adultes, Oscar Jayack le célèbre auteur qui, en plein scandale de harcèlement moral sur l'ancienne attachée de presse de sa maison d'édition, ne trouve rien de mieux à faire, entre deux gueules de bois, que d'écrire un post insultant sur Rebecca Latté, une célèbre actrice, qui lui répond en l'insultant elle aussi. Dans le monde réel, est-ce que celle-ci aurait pris la peine de répondre à un post infamant ? Et de commencer une correspondance épistolaire avec son agresseur après que celui-ci se soit excusé et écrit dans un tout autre registre, pour lui rappeler que Rebecca était l'amie d'enfance de sa soeur et qu'ils viennent du même endroit ? Je ne crois pas…

Une fois accepté ce point de départ fragile, « Cher connard » déroule donc les pensées – difficile de dire ici qu'il s'agit vraiment d'un roman épistolaire – de deux egos opposés qui ne prennent pas la peine de se répondre longtemps directement (autre signe des temps), lui le privilégié blanc égocentré insupportable d'auto-apitoiement qui vient d'un monde clairement dépassé, elle l'actrice à la gouaille bravache à la Béatrice Dalle (Rebecca m'a fait tellement penser à elle pour cette attitude 100 % rocknroll et bravache, mais aussi à l'autrice elle-même), qui est bien consciente squ'à plus de cinquante ans, elle commence à devenir hors course, et devient le héraut un peu opportuniste d'un féminisme qu'elle n'a pas toujours ressenti. de la confrontation entre ces deux personnes qui se ressemblent pour leur goût de l'amour (du) toxique, d'une intensité toujours plus grande et menant au drame, d'une identité fragile, naîtra une certaine amitié, qui permettra à Oscar de se rendre compte que oui, malgré tout ce qu'il pense, il est bien un connard fini, et à Rebecca de quitter son amant de toujours, la drogue.

Tout est bien qui finit bien, alors ? C'est bien joli l'amitié, c'est bien sympa de voir l'évolution (limitée jusqu'à un certain point) d'Oscar pour être autre chose qu'un prédateur malgré lui, mais pour moi l'intérêt de « Cher connard » (l'intrigue n'étant pas bien épaisse, car je pense très objectivement que l'autrice s'en fiche pas mal, ce n'est qu'un prétexte), ne se trouve pas là. Elle est dans cette lecture de l'époque par Virginie Despentes, dans sa manière d'analyser la période post-me too, cette espèce d'amertume proche de la gueule de bois qui claque au visage quand on se rend compte que les promesses induites par la vague Me too (la fin d'un système de harcèlement patriarcal institutionnalisé, dans la vie comme sur Internet) ne se sont pas concrétisées, et ne le seront peut-être jamais. le personnage de Zoé, la victime d'Oscar, est d'ailleurs celle qui s'en prend le plus dans la figure, le symbole de l'échec de Me too. Elle a dénoncé Oscar Jayack dans son blog, est-ce qu'elle s'en sort mieux ? La conclusion qu'on lit dans ce texte, c'est que non seulement Metoo n'aura pas été déferlante écrasante, mais qu'en plus la vérité n'est pas forcément une amie, et est surtout une utopie impossible sur internet et les réseaux sociaux, lieu de tous les dangers, dominés par une fachosphère mieux organisée que les autres mouvements. Glaçant et réaliste.
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