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Critique de enjie77


Cécile Desprairies, née en 1957, philosophe, historienne et germaniste de formation, s'est beaucoup attachée à l'étude de l'Occupation allemande en France et sur la collaboration entre 1940 et 1944. Elle peut se prévaloir de plusieurs ouvrages traitant de ce même sujet. En lisant La Propagandiste, son premier roman, il me semble trouver les motifs de son inclination pour cette période, elle cherche la Vérité où s'entremêlent la Grande Histoire et l'histoire intime.

Comment classer ce témoignage qui place, dans les années soixante, une enfant – l'auteure – en présence d'un groupe de femmes dont sa mère, personnage centrale, qui échangent, entre elles, à mots couverts sur la période de la « guerre ». Pourquoi ces murmures ? Les sens en éveil, l'enfant emmagasine des dialogues énigmatiques entrecoupés de mots dont le sens lui échappe, jusqu'au jour où elle découvrira une carte d'identité, datée de 1943, de sa mère portant un nom allemand.

Tous ces mystères ne resteront pas sans conséquence, sciemment ou inconsciemment - l'auteure ne nous le dit pas - sur la vie de cette enfant qui deviendra une jeune étudiante brillante. En qualité de germaniste et historienne, munie des outils intellectuels nécessaires, ses recherches vont lui permettre de clarifier tous ses questionnements. Et c'est de cette atmosphère impénétrable qu'elle tirera ce récit lourd de révélations. A force de décrypter les images de cette Occupation Allemande, elle finira par décrypter la propre histoire de sa mère, collaboratrice zélée au service du nazisme.

Courageusement, l'auteure qui a pris soin de mûrir son projet, publie son premier « roman » qui peut être considéré comme un solde de tous comptes. La forme d'expression choisie s'apparente au langage parlé, loin d'un langage littéraire, ce qui donne le sentiment d'être la confidente de l'auteure. Les atrocités perpétrées au cours de la seconde guerre mondiale, conservent, aujourd'hui, un impact corrosif sur les consciences. Comprendre devient une nécessité si tant est que l'on puisse comprendre. Mais pour l'auteure, découvrir les raisons de ce gynécée où les conciliabules mystérieux n'ont cessé de l'interpeller depuis l'enfance, devient une nécessité absolue. le résultat n'est pas si évident à assumer. Comment justifier les choix de sa propre mère, Lucie, juste au moment où la France bascule entre la soumission, la collaboration ou la résistance. Il est difficile de laisser à distance les engagements d'une mère, partisane d'un investissement sans limite aux côtés d'Hitler, superficielle, arriviste, sans scrupule, qui cherche à profiter de toutes les occasions pour pénétrer le cercle des partisans du national-socialisme. En quelques mots, une mère qui abime la conscience de son enfant en projetant sur lui l'ombre d'un passé collaborationniste.

Dès les premières lignes, j'avoue avoir été enthousiasmée par l'humour caustique de l'auteure à l'égard de sa famille, et notamment, à l'égard des femmes qui, vivant dans le même immeuble, avaient pris pour habitude de se réunir chez Lucie pendant que la petite Cécile écoutait attentivement les potins tentant parfois de retenir un mot, de comprendre le sens de ces histoires : ces réunions que l'auteure nomme avec malice « le gynécée ».

« Eternelles insatisfaites, ces femmes se scrutaient comme des cocottes, traquant leurs plus petites imperfections. Elles n'avaient que leur corps et leur corps parlait pour elle ».
« le gynécée se donnait du « mon chou », « ma choute » ou « ma p'tite » mais ces femmes étaient entre elles plutôt « peau de vache » pour reprendre l'une de leurs expressions ».

Mais parfois, au détour d'une phrase ironique, un passage d'un cynisme effrayant me pétrifiait voire m'horrifiait !

« Les femmes évoquaient la « rafle-du-Vel'-d'Hiv' » sur le mode de la constatation, à la façon d'un épisode météorologique de type caniculaire. « Des juifs ont été amenés là en autobus » disaient-elles. C'était en juillet, il faisait une chaleur étouffante. Il y avait beaucoup de monde, on entendait du brouhaha à travers la verrière. Par un des interstices de l'enceinte, « un juif » avait tendu à ma grand-mère « une montre en or, en échange d'un verre d'eau ». Ma grand-mère avait pris la montre mais n'avait « pas donné le verre d'eau ». C'était dit sans émotion. Je me demandais si j'avais bien entendu. »

Véritable autopsie de son milieu familial, c'est une analyse sans concession de sa mère dont elle tente de sonder les abimes mais aussi les mécanismes qu'elle met en place pour prendre le pouvoir sur les membres de la famille pour tenter d'échapper à la période de l'épuration. Elle organise le sauvetage de la famille sans que personne ne bronche, ce qui m'a inspiré une chanson de Souchon :

« Passez notre passé à la machine
Faites le bouillir
Pour voir si les couleurs d'origine
Peuvent revenir
Est-ce qu'on peut ravoir à l'eau de javel
Des décisions
Le nazisme qu'on croyait éternel
Avant ? »

Tout le récit bénéficie d'un humour noir qui allège le récit et certainement le fardeau de l'auteure Mais malgré tout, au fur et à mesure, je me suis sentie saisie d'un malaise devant autant d'ignominies. Qu'est ce qui peut pousser tous les membres d'une même famille à devenir des monstres, incités par une force invisible, à ignorer que derrière toutes ces spoliations, ces enrichissements, se cache une réalité : il y avait des vies humaines qui étaient sacrifiées, des enfants arrachés à leurs mères, des êtres affamés, avilis, et pendant ce temps, toute cette famille menait grand train au rythme du nazisme.

Toutes ces révélations m'ont particulièrement secouée. J'avais hâte d'avoir terminé ce livre qui reste, néanmoins, un témoignage saisissant sur cette famille de collaborateurs. Aujourd'hui, consciente du contenu de ce livre, je le relirai avec plus de recul.

Je tiens à remercier les Editions du Seuil et l'équipe de Babelio pour m'avoir permis de lire cet ouvrage avant sa parution, le 18 août, raison pour laquelle, nous ne devions mettre nos critiques en ligne qu'à partir du 11 août. Je salue le courage de l'auteure de s'être ainsi exposée pour notre plus grand enrichissement sur la nature humaine.
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