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Critique de afriqueah


Cécile Despariries raconte son enfance, qui, comme si elle-même n'existait pas, se résume finalement à essayer de comprendre les adultes : à six ans, j'assiste, dit-elle, à un spectacle qui se renouvelle chaque jour, sans rien y comprendre, un peu comme une langue étrangère, sans sous-titre et sans explications : la comedia del arte que mes tantes, ma grand-mère et ma mère, dans le rôle de cheftaine, « cerveau et bras armé » rejouent chaque jour.
La mère, Lucie, teinte en blonde comme une walkyrie, menteuse, voleuse, cynique, cupide, exploite les domestiques illettrées, fraude le fisc, s'en vante et mène à la baguette le « gynécée » qui l'entoure.
Une nazie même si le nazisme n'avait pas existé.
Sa fille, après avoir essayé de décrypter certains mots, comme par exemple le « camp de prisonniers » sous « L'Occupation », lieu de l'hôtel particulier appartenant à la famille, ou « morts-en-déportation », qu'elle décortique en «  Départs », « transport », mais vers où, se demande-t-elle ? et pourquoi morts ?
Questions sans réponse, qui pousseront la locutrice du roman à étudier l'histoire et l'holocauste en particulier.
Mais est-ce un roman, ou une biographie de sa mère, toute- puissante, dont elle découvre un jour qu'elle avait un passeport allemand ?
Et qu'elle avait vécu un grand amour avec Friedrich, nazi convaincu, « chercheur en biologie génétique, une spécialité prometteuse pour qui envisage la science sous un aspect racial, prêt à se lancer dans des expériences à la Mengele.
Amour fou de ces deux nazis convaincus, qui ne pensent pas une seconde aux êtres humains que sont les juifs. Pour lui, les expériences sur les souris, les juifs ou les rats, c'est un peu la même chose. « Élégants, actifs, fusionnels, ils ont les mêmes idées, les mêmes ambitions, les mêmes valeurs. Il suffit que l'un pense à quelque chose pour que l'autre le formule. ».
Dans la volonté de promouvoir le Reich, toute la famille coopère autour de Lucie, toutes et tous ont à y gagner, en occupant les immeubles et les châteaux dont les juifs ont été expropriés et massacrés, y compris la grand-mère.
Durant la rafle du Val d'Hiv, « Par un des interstices de l'enceinte, « un juif » avait tendu à ma grand-mère une montre en or, en échange d'un verre d'eau. Ma grand-mère avait pris la montre, mais n'avait  pas donné le verre d'eau ». C'était dit sans émotion. Je me demandais si j'avais bien entendu. »
Ils ont appartenu à un monde de riches, basé sur la spoliation, et cultivé des rapports avec les autres nazis français, dont « le docteur Destouches, plus connu sous son nom de plume, Céline. C'est un homme de terrain, avec lequel Friedrich et l'ensemble de la communauté scientifique partagent les mêmes convictions. Céline est médecin, hait les juifs et promène un mépris quasi universel sur tout et tout le monde. Il n'aime que les chats et sa femme. Ayant une vision biologique des choses, Louis-Ferdinand est obsédé par la race, la décadence. ».
La famille, sous la houlette musclée de Lucie, elle-même sous la coupe de Friedrich, membres actifs de la propagande pendant l'occupation, se fait plus discrète à la Libération, ment et s'achète une conduite « plus blanc que blanc », tout en continuant, jusqu'au dernier jour, à souhaiter une restauration fasciste et à déplorer les morts de Nuremberg et le sort des autres qui n'ont pas eu leur chance.
Déplorer, ou mépriser ou occulter.
Lucie, elle, se cache, part aux USA, revient, se marie avec un pétainiste convaincu, ce qui lui permet de changer de nom, met quatre enfant au monde, dont Cécile. Et continue à mentir.

L'intérêt du livre réside dans les détails que Cécile Desprairies énumère : les journaux, dont le Cahier jaune « couleur attribuée aux juifs depuis le Moyen Âge et par la propagande, la couleur de la rouelle comme celle de l'étoile distinctive. Ainsi le Cahier jaune, c'est un peu comme le Code noir, sous Louis XIV. Un Cahier jaune concernant les « jaunes », avec un « j » pour des juifs que l'on ne nomme même pas, de la même façon qu'il y a eu un Code noir concernant les Noirs. ».

Cependant, autant nous découvrons les pensées racistes des collabos, autant au niveau de l'histoire il est important de rappeler l'existence d'un Lebensborn en Picardie, par exemple, d'évoquer les rafles et les convois, de rappeler l'emprise de la croyance nazie, autant il m'a semblé tout de même un peu fort de parler de sa mère en n'en relevant pas un gramme d'humanité, insensible au doute et incroyablement arriviste. Pour solde de tout compte", selon l'expression de Martine @enjie77.
Un monstre, cette Lucie. Une phrase m'a choquée, bien qu'elle donne une idée exacte de ce qu'a pu être cette mère, qui affirme : «  Ce sont les plus bêtes qui ont été déportées. Quand on est un peu futée, il y a toujours moyen de passer entre les mailles du filet. »
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