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Critique de YvesParis


La Cour suprême américaine fascine. Pourtant elle est mal connue de ce côté de l'Atlantique. Les ouvrages en français qui lui sont consacrés sont rares et sont le plus souvent des traductions d'ouvrages américains – alors qu'une librairie de droit récemment consultée en Chine en présente plusieurs dizaines, écrits par des auteurs chinois. Aussi la synthèse d'Anne Deysine, professeur émérite à l'Université Paris Ouest Nanterre, est-elle particulièrement bienvenue. Il ne s'agit pas seulement d'un livre de droit, qui se bornerait à décrire platement l'organisation et le fonctionnement de la Cour, mais d'un ouvrage qui se revendique du courant judicial politics et propose une double approche juridique et politique.

Certaines caractéristiques de la Cour suprême sont bien connues. La première est que ses juges (désignés par le beau mot de Justice, le président de la Cour suprême portant le titre de Chief Justice là où le Conseil constitutionnel français ne compte que des « membres ») sont nommés à vie – alors qu'ils sont nommés en France pour un mandat de neuf ans non renouvelables. La mesure est censée garantir leur indépendance, les juges une fois nommés n'ayant rien à craindre ni à espérer de l'Exécutif. Elle a assuré la stabilité de la Cour : il n'est pas rare qu'un Justice siège pendant 25 ou 30 ans. Revers de la médaille : elle a parfois contribué à son immobilisme comme c'est le cas ces dernières années avec l'influence paralysante des juges Scalia ou Thomas nommés en 1986 et 1991. D'où l'importance historique des prochaines nominations qui feront peut-être pencher la Cour, aujourd'hui plutôt conservatrice, dans un sens plus progressiste.
Deuxième caractéristique : le vote des juges n'est pas secret. On sait qui vote quoi. Telle décision est rendue à l'unanimité, telle autre à une voix de majorité. Ce n'est pas la tradition française où l'on estime que le dévoilement de cette répartition fragilise l'autorité des jugements (une décision acquise à une faible majorité aurait moins d'autorité qu'une décision unanime) et fragilise les juges (que l'anonymat exonère de rendre compte personnellement des jugements qu'ils rendent). La tradition américaine est toute autre qui encourage le débat et l'expression de voix dissidentes jusqu'au sein du tribunal.
Troisième caractéristique, moins connue peut-être que les précédentes : la Cour suprême cumule les fonctions exercées en France par le Conseil constitutionnel (le contrôle de constitutionnalité des lois, étatiques ou fédérales, une compétence qu'elle ne possédait pas à sa création mais qu'elle a acquise de vive force par l'effet de sa jurisprudence Marbury vs. Madison en 1803), par le Conseil d'Etat et la Cour de cassation, juges suprêmes des ordres juridictionnels judiciaire et administratif. Et à la différence des cours suprêmes françaises, il n'est pas de juridictions supranationales qui puissent remettre en cause la portée de ses décisions.
Quatrième caractéristique qui distingue la Cour suprême des deux cours suprêmes françaises : elle décide souverainement des affaires qu'elles jugent. Saisies chaque année de près de 8.000 requêtes, elles n'en jugent que 80. le filtrage n'est pas arbitraire : le writ of certiorari st accordée aux requêtes qui remplissent un certains nombres de critères (standing, ripeness, absence de mootness). Mais il est discrétionnaire : il suffit que quatre juges se prononcent pour l'admission de la requête. Ce système de sélection dit du cherry picking contraste avec la situation en France où le Conseil d'Etat et la Cour de cassation, submergées par un nombre exponentiel de requêtes (plus de 10.000 pour le premier, plus de 30.000 pour la seconde) peinent à exercer la fonction régulatrice qu'elle devrait assumer.
Pour autant, pousser plus loin la comparaison serait futile. Anne Deysine ne le fait pas qui rappelle deux différences fondamentales entre nos deux systèmes. Les Etats-Unis sont une fédération où les cours fédérées, chacune coiffées dans leur Etat par une Cour suprême, exercent la juridiction de droit commun. le système américain se caractérise moins par la séparation des pouvoirs, comme on le croit à tort, que par un savant équilibre de poids et de contre-poids dans lequel la Cour n'exerce de pouvoir qu'en tant qu'il est toléré par les autres autorités.
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