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Critique de Melpomene125


Ce roman captivant est un des livres que j'emporterais sur une île déserte tant il est riche de significations et de multiples interprétations possibles ! J'avais dévoré cet énorme pavé l'été de mes dix-sept ans, profitant d'une vaste plage de temps libre tant l'isolement rural est propice à la méditation poétique et métaphysique, et les questions sans réponses des personnages et plus largement celles de l'auteur sur le sens de la vie, Dieu, la mort, le bien, le mal avaient fait écho aux miennes.
L'odieux Féodor Karamazov est assassiné. de ses trois fils : Dimitri, le débauché, Ivan, le savant, Aliocha, l'ange, tous ont pu le tuer, tous ont au moins désiré sa mort. Mais qui est le vrai coupable ? Comme dans Crime et Châtiment, Dostoïevski part d'une intrigue de roman policier pour nous emmener sur d'autres terrains : philosophiques, politiques, religieux, métaphysiques.
Aliocha est un jeune homme altruiste, ce qui lui vaut d'être aimé de tous, même de son père. Il est persuadé que Dieu existe, a foi dans l'homme, malgré la méchanceté et la question problématique du mal. Il a soif d'absolu et veut vivre dans un monastère auprès d'un saint, le staretz Zossima, dont les qualités morales et humaines l'ont profondément marqué. Il se positionne par rapport au socialisme, idée nouvelle dans les cercles intellectuels, qui n'est pas que la question ouvrière mais aussi celle de l'athéisme : créer un paradis sur terre sans Dieu. S'il avait été sûr que Dieu n'existe pas, il aurait été socialiste.
Ivan est un étudiant qui, comme Raskolnikov dans Crime et Châtiment, écrit des articles pour gagner sa vie. Ce savant athée écrit des articles de théologie sur les tribunaux ecclésiastiques. À la différence de son frère, il est persuadé que Dieu n'existe pas mais il est tourmenté par le problème du mal, de la cruauté inhérente à l'espèce humaine et finit par conclure que « si Dieu n'est plus, tout est permis ». La justice humaine est trop faible, un homme intelligent peut user de duplicité, de dissimulation pour la contourner, y échapper. Sans l'idée de Dieu que les hommes ont créée pour assurer la cohésion sociale, celle de la vertu disparaît et il n'y a plus de limite morale, le crime est permis dans la mesure où le criminel n'est pas pris, il n'est même pas soupçonné.
Dimitri, surnommé Mitia, est un homme de mauvaise vie qui aime cependant son frère Aliocha, qu'il considère comme sa conscience morale, tant à ses yeux, il est charismatique. Lui seul a le pouvoir de le ramener sur le droit chemin. Mitia est le coupable idéal du meurtre de son père : il l'a forcément tué et lui a volé son argent, vu ses antécédents. Ce ne peut être que lui mais est-il vraiment coupable ? A-t-il vraiment envie d'être innocenté ? Ne se considère-t-il pas coupable d'une autre façon, d'autres crimes qu'il doit expier par rapport à l'ensemble de sa vie ? En sera-t-il capable ? Aura-t-il le courage d'affronter la rudesse de l'existence au bagne, s'il est condamné ?
Dostoïevski nous fait découvrir la société russe de la deuxième moitié du XIXe siècle et ses débats idéologiques houleux entre jeunes révolutionnaires, théoriciens de l'anarchisme, du socialisme, du nihilisme : la négation de Dieu et la destruction radicale des anciennes structures sociales, des institutions. Lui-même était tiraillé entre l'idéal chrétien, au point d'écrire dans une lettre : « Si quelqu'un me prouvait que le Christ est hors de la vérité et qu'il fût réel que la vérité soit hors du Christ, je voudrais plutôt rester avec le Christ qu'avec la vérité », et l'idéal socialiste. Il avait été membre d'un mouvement révolutionnaire remettant en cause le pouvoir absolu du tsar avant d'être condamné à mort puis envoyé au bagne. La question sociale le préoccupe : comment résoudre le problème de la misère ? Kolia, qui n'a que quatorze ans et se dit socialiste, admire Aliocha et est l'ami d'Ilioucha, qu'il veut défendre car il est petit, faible et pauvre mais ne se laisse pas faire. Kolia et Aliocha sont des doubles parfaits des réflexions de Dostoïevski. Pour autant, la destruction radicale vaut-elle mieux que le conservatisme ? Engendre-t-elle le paradis sur terre ou le chaos ? Une oeuvre majeure pour qui s'intéresse à la politique au sens noble du terme : l'histoire des idées et de l'organisation sociale, ainsi qu'aux débats philosophiques et métaphysiques.
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