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Critique de Henri-l-oiseleur


Dans ce second volume, Raphaël Draï poursuit sa lecture commentée de l'évangile de St Luc, tout en faisant référence aux deux autres, appelés synoptiques, et à celui de St Jean. Le livre concerne donc l'itinéraire de Jésus de la Galilée à Jérusalem et à la croix, au tombeau et à la résurrection. Revenir au texte évangélique est un exercice difficile : en deux mille ans, une religion, des théologies, des oeuvres d'art, se sont ajoutées qui nous barrent la route au texte originel et nous empêchent de le lire "naïvement", comme si c'était la première fois. Car même ceux qui n'ont jamais ouvert une Bible auront eu affaire aux dérivés du Nouveau Testament, sous des formes plastiques, idéologiques, musicales ou autres. C'est pourquoi la lecture de Raphaël Draï est précieuse : il aborde les textes non pas naïvement, c'est impossible, mais avec la Tora d'Israël, loi orale et loi écrite, et avec sa grande culture de juriste, ce qui lui permet une grande liberté interprétative. On dispose avec cet ouvrage d'un moyen irremplaçable de relire les évangiles autrement.

L'auteur souligne l'extrême violence polémique de ces quatre vies de Jésus : la polémique tient souvent lieu d'argumentation, et le peuple juif en fait presque toujours les frais. Les racines de l'antisémitisme chrétien ne sont pas à chercher ailleurs que dans ces livres où Jésus accable Israël d'injures, et où les évangélistes, sans souci de vraisemblance et de fidélité, ou même de documentation, instruisent à charge, sans relâche, le procès des Juifs. Par exemple, s'il leur est impossible de disculper totalement les Romains de la croix, les quatre réussissent à inculper le peuple que les Romains oppriment.

D'autre part, le lecteur habitué à la Bible juive (ou "Ancien" Testament) ne peut que constater l'incroyable rupture de ton et de style entre les évangiles et les Ecritures hébraïques dont ils se réclament : Jésus dans ses sermons ramène tout à lui, ne parle que de lui, et son Ego envahit tout. C'est à lui, non à ce qu'il dit, qu'il faut se rallier, et toutes les questions, tous les doutes, toutes les demandes d'explications, sont imputés à crime. La personnalité du fondateur du christianisme y apparaît, écrasante, envahissante, égocentrique, réclamant allégeance et ne dédaignant pas les actes d'adoration idolâtre. Peu d'amour chez ce prédicateur, bien que ce soit le maître-mot de sa prédication.

Enfin, il paraît bien difficile de se servir des évangiles pour fonder un dialogue judéo-chrétien, car le christianisme, comme plus tard l'islam, repose sur une dévaluation radicale de la tradition juive dont il se réclame dans le même temps. Les paraboles de la fin sont parlantes : Jésus y enseigne que le peuple de l'Alliance, du Sinaï, est dépossédé de son "héritage" et qu'un autre va le remplacer, comme si la parole divine et l'Alliance étaient des propriétés privées, comme si Dieu n'était pas assez grand pour aimer tous les hommes en même temps. Il y a toujours deux temps dans ces textes très humains, trop humains, des évangiles : l'amour universel de l'humanité se paie de l'exclusion d'un peuple hors de celle-ci, les promesses et les consolations sont immédiatement suivies d'imprécations et de menaces. On dirait que le fantasme antisémite de l'élection est à l'oeuvre ici : pour qu'un groupe soit "élu" (les nouveaux chrétiens pour qui les évangiles sont écrits), il faut qu'un autre soit proscrit. On sait que l'antisémitisme fonctionne par projection : on reproche aux "autres" ce qui est à l'oeuvre en nous-mêmes. Comment dès lors parler aux adeptes d'une religion fondée sur de tels textes ?

Malgré un certain amateurisme, le livre de Raphaël Draï est donc une lecture à recommander chaudement.
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